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de prétentions, ce pauvre jeune homme, que les moindres appointements lui suffiraient. Une fois qu’il serait parvenu à faire publier deux ou trois ouvrages, ou bien à faire accepter quelques articles dans un petit journal, il vivrait par lui-même, quelque médiocres que fussent ses livres, car il n’est pas donné à tout le monde d’écrire le Colonel Chabert, Je l’ai lu deux fois à des hôtes différents, et, chaque fois, je les ai émus jusqu’au fond de l’âme. Vous êtes bien assez généreux pour tendre la main à celui qui veut arriver et que les difficultés de la route et la misère avec toute sa hideur n’ont point rebuté.

Vous ne connaissez pas mon petit Yorick. Une créature dans son ébauche comme lui n’offre pas beaucoup d’intérêt au grand explorateur du cœur humain, mais ma joie ne vous sera pas indifférente.

Adieu, Honoré. Faites quelque chose pour mon protégé et je vous en bénirai du fond de l’âme. Dans tous les cas, je vous aimerai toujours bien. Comme votre temps est précieux, ne m’écrivez qu’un mot, si vous trouvez quelque chose. Ne me mettez jamais au nombre des obligations. J’ai l’orgueil de me croire au-dessus de toutes ces nécessités-là. Chez moi, l’amitié peut vivre sans cette menue nourriture, et ne vous fussiez-vous pas manifesté pendant vingt ans, elle vous offrirait ses trésors avec la même confiance et le même abandon.

Adieu, vous ne connaîtrez donc jamais la chambre que je vous destine ?


Balzac répond aussitôt :


Oui, j’aurai soin de votre jeune protégé. Mais il faut que je le voie, car ce serait pour moi, et près de moi ; à ramasser des miettes il y a une petite fortune. J’ai vingt fois refusé de laisser entrer chez moi les gens de bonne volonté. Mais j’irai à Issoudun préalablement vous expliquer les choses et voir l’homme. Mon voyage est soumis à la conquête de dix jours de tranquillité. Ne m’accusez pas. Je suis accablé d’ouvrage et vous ne pouvez pas me juger de là-bas. Il faut que je corrige vingt épreuves par jour. A chaque instant on va et on vient des imprimeries. J’ai trois Revues [1] sur les bras et mes deux

  1. Revue de Paris ; fin de Séraphita, Mémoires de deux jeunes mariées ; Revue des Deux Mondes : le Lys dans la Vallée ; Le Conservateur : projet d’une composition royaliste.