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les coups de tonnerre se succédaient presque sans interruption, le ciel semblait être prêt à se briser. À ce moment, ma pensée se reportait vers ceux dont j’avais dû me séparer : « Yvonne et Madeleine n’ont-elles pas peur ? et leur maman n’est-elle pas un peu effrayée ? » Et c’est toujours la même chose. À toutes ces questions je n’obtiens qu’une seule réponse : le doute, le doute cruel, qui met parfois la désolation dans mon âme.

Mercredi, 11 août 1915.

Un gardien vient remplacer ma paillasse, celle que je reçois est un peu plus moelleuse, ils vont finir par me gâter… Peut-être ont-ils l’intention de me garder beaucoup plus longtemps que je ne le désire.

Un paquet vient d’arriver de la chère maison ; je suis ravi ; il provoque une fête en mon cœur et ma gaieté soudaine pétille comme une étincelle. Le contenu du paquet me donne la certitude que ma chère femme a reçu ma carte postale. Un flot de félicité m’envahit maintenant ; je suis certain que j’ai pu les encourager et les tranquilliser, qu’elles savent que papa n’est pas déprimé et lutte avec espoir, que la force et la crânerie ne lui font pas défaut. Cette journée me procure une sensation pleine de consolation et j’éprouve le besoin de parler à moi-même : « Oui, mon cher Baucq, tout finira par s’arranger : quelques mois ou quelques années de prison, ce qui ne t’effraye pas, te seront octroyés ; qu’importe le nombre des années, puisqu’elles expireront le jour de la victoire des Alliés ! Or, cette victoire approche, lentement, mais sûrement ; donc la patience est le seul bagage, pas bien lourd, dont tu dois dorénavant te munir pour arriver à bon port. »

Philippe Baucq.

(À suivre.)