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Dimanche, 8 août 1915.

Avec le linge et les quelques objets de toilette que j’ai reçus hier, je puis procéder ce matin, à la remise en état de ma petite personne, ce qui me procure un grand bien-être.

Oh ! là là,… je m’aperçois que j’arrive lentement au bout du graphite qui se trouve dans mon porte-mine ; il ne m’en reste plus grand-chose ; espérons que je pourrai me procurer à la cantine de quoi écrire ; sans quoi, je vais me trouver devant un vrai désastre.

Il est huit heures du matin, le son de l’orgue sourd et voilé se fait entendre doucement, pareil à une voix lointaine. Brusquement une porte s’étant ouverte sans doute, les accords éclatent sonores et vibrants, emplissant de musique religieuse la sombre prison. Le son monte, glisse le long des murailles, traverse les cellules et s’échappe au dehors pour se diriger vers le ciel. Quel enchantement et combien est apaisant ce chant divin qui s’élève en prière fervente vers le Dieu tout-puissant ! Le silence règne dans le vaste bâtiment ; les prisonniers sont prosternés devant le grand Maître de la Nature et prient… Je sens descendre au fond de mon âme une paix délicieuse, une sérénité, un amour de l’humanité que je n’avais point ressentis jusqu’à présent. Un long point d’orgue marque le dernier accord ; lentement le son de l’instrument se tait. La messe est terminée.

Le temps est maussade et couvert. Le soleil est emprisonné par les nuages, la nature semble être en deuil, l’intérieur de ma cellule est plus froid que les jours précédents et dégage un air de sombre mélancolie. Il est environ onze heures, un soldat vient me chercher. Le lieutenant Bergan me prévient que demain je serai interrogé toute la journée et que si je n’indique pas les noms de ceux avec qui j’ai travaillé, on arrêtera au moins cent cinquante personnes. Il me prie de bien réfléchir parce que, inévitablement, des innocents seront arrêtés. M. Henry cite les noms suivants : Lucas, père et fils, Carlier, Delange, Oscar, Linthout.

Je suis profondément alarmé et me demande ce qu’il va sortir de tout cela…

Je rentre dans ma cellule haletant, surexcité, nerveux et navré ; j’enlève de ma table livres, notes, journal, et j’entame l’étude