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ma situation. Puis, mes pensées couraient à la dérive, je faisais les suppositions les plus diverses, cherchant et étudiant la meilleure attitude à prendre dans chaque cas.

Enfin dans l’après-midi, un soldat vint m’appeler en me disant : « Visite, visite… » Je supposais qu’il s’agissait d’une visite médicale à laquelle devaient se soumettre les prisonniers lors de leur entrée en prison. Je m’empresse de suivre le soldat, qui en passant par plusieurs portes grillagées et à travers des galeries, m’amène dans une antichambre où trois hommes, les yeux pleins de tristesse, étaient assis sur des bancs adossés au mur : Un soldat est là, fumant son cigare, qui nous surveille afin d’éviter que nous ne causions entre nous. J’attendais depuis un petit moment, quand je vis apparaître l’homme qui m’avait arrêté ; mes yeux se fixèrent sur lui, et je me rendis immédiatement compte que j’allais devoir subir un interrogatoire et non une visite médicale. Tout à coup, je devins inquiet, une oppression m’envahit, provoquant un léger tremblement de tout mon être.

Lundi, 2 août 1915.

…On m’introduisit dans un bureau où se trouvaient le lieutenant (M. Bergan) que j’avais déjà vu rue de Berlaimont, et le chef (M. Henry)…

Ces messieurs commencent par me signaler que mon cas est excessivement grave… qu’ils ont la preuve que j’ai fait de l’espionnage et du recrutement… que le dossier des pièces trouvées chez moi est volumineux… que, dans mon intérêt, je n’ai rien de mieux à faire que d’avouer, car celui qui a commis un délit et ne l’avoue pas est, d’après la loi allemande, condamné au double de la peine… Je proteste énergiquement, affirme que je ne me suis jamais occupé d’espionnage et de recrutement. M. Henry à plusieurs reprises me traite de menteur, de sale menteur. Le lieutenant avec son petit sourire, essaye de m’effrayer et me fait remarquer que je ne songe pas à ma famille en prenant une attitude semblable. Je deviens de plus en plus inquiet, mais toujours maître de moi. Puis ils abordent une série de questions :

— Vous n’êtes pas garde civique non plus ?

— Non, messieurs, je ne l’étais plus au moment de la guerre, ayant été sous-officier ; j’ai terminé mon service à trente-deux ans.