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même, je me dis : « Mon pauvre Baucq, aujourd’hui tu ne ficheras plus rien de bon ; tu es fatigué, assommé ; ta machine est détraquée et dans un bien piteux état ; il faudra que tu t’étendes sur ta paillasse, et si par hasard tu peux dormir demain, tu seras beaucoup mieux à même de réfléchir et de regarder en face le malheur qui vient de s’abattre sur toi. » Trouvant l’idée excellente, je prépare mon lit, tandis que j’essaye de me donner du courage en chantant : Vers l’avenir… Mais je ne parviens pas à terminer la première strophe : découragé, anéanti, je me laisse choir tout habillé sur ma couche… mes yeux se fixent vers l’au-delà, vers la chère maison que j’avais dû abandonner ; me tournant et me retournant, je ne parvenais point à trouver le calme. Je finis cependant par tomber dans une sorte d’insensibilité très lourde, accablante, qui me plongeait dans un demi-sommeil. En proie à d’épouvantables cauchemars, des choses effrayantes me hantèrent, des bêtes grimaçantes, sinistres, dansaient autour de moi et me torturaient. Je faisais des rêves lugubres ; je fuyais dans une course éperdue ; les agents de la police secrète allemande me poursuivaient ; je sentais l’haleine me faire défaut et mes jambes défaillantes ne pouvaient plus courir ; je les voyais approcher et dans mon impuissance ma douleur était horrible. Puis, c’étaient d’autres songes ; je passais au-dessus du mur de clôture de ma maison, emportant les paquets que j’allais cacher dans les terrains vagues, près du boulevard de Grande Ceinture. À plusieurs reprises, couvert de sueur, je me redressai sur mon séant et repris notion de la réalité des choses. Alors, rageur, je frappai des pieds, j’en voulus au chien, car c’était pour lui que j’avais ouvert la porte de la rue, j’étais furieux d’avoir été arrêté dans de telles conditions et avec une telle facilité. Enfin, je pus fermer les yeux et m’endormis pour quelques heures…

Dimanche, 1er août 1915.

Au matin, je me suis éveillé en entendant ouvrir ma cellule. Celle-ci, de forme oblongue, a comme dimensions approximatives deux mètres cinquante de large sur quatre mètres de long. L’un des petits côtés est percé d’une porte, encadrée de pierre bleue, donnant accès à la galerie. Dans cette porte en bois garnie d’une tôle en fer, recouvrant toute la face intérieure, sont percés un guichet par où l’on passe la nourriture et un