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réduite : les statistiques ne donnent plus que 142 000 émigrants pour 1916, 46 000 pour 1917 et 28 000 pour 1918. Deux cent mille Italiens vivant à l’étranger obéirent à l’ordre de mobilisation et vinrent accomplir leur devoir militaire. Il semble que presque tous, après la paix, sont restés dans le pays. L’Italie s’attendait à ce que la cessation des hostilités provoquât, de la part des États belligérants, une énorme demande de main d’œuvre, qu’elle eut trouvé avantage à satisfaire dans une large mesure, à certaines conditions. Dès 1917, nous voyons les économistes et les hommes de gouvernement se préoccuper de tirer le meilleur parti d’une situation qu’ils ont évaluée selon des calculs un peu théoriques. « La main d’œuvre est notre meilleure, notre plus grande richesse, écrit M. Victor Scialoja. Nous devons nous en servir, non seulement pour obtenir en faveur de nos ouvriers de bonnes conditions, mais aussi pour suppléer, par des échanges, à notre pénurie de matières premières. » Le principe ainsi énoncé reçut un commencement d’application, notamment dans le traité de Travail conclu avec la France en 1918 et dans les accords spéciaux relatifs à l’emploi de la main d’œuvre italienne dans certaines industries d’extraction, en Tunisie et au Maroc.

Mais la main d’œuvre italienne, très recherchée en France au lendemain d’une guerre qui avait cruellement éprouvé notre population, ne fut point accueillie dans les autres pays avec l’empressement qu’on avait escompté. Les grands États de l’Amérique, et en particulier les États-Unis, adoptèrent un régime de protection si étroite, en faveur de leurs propres ouvriers, que les émigrants italiens trouvèrent, sinon fermées, tout au moins mi-closes les portes qu’ils avaient espéré voir s’ouvrir largement devant eux.

Les prétentions des syndicats dressèrent un autre obstacle : à l’émigration individuelle on entendit substituer l’émigration collective et encadrée ; les ouvriers italiens transporteraient à l’étranger leur organisation, y imposeraient leurs règlements. On ne se contentait point de réclamer une complète égalité de droits entre les ouvriers importés et ceux du pays où ils s’employaient ; on alla, lors des pourparlers avec le Gouvernement français, jusqu’à vouloir soustraire l’émigrant italien à la juridiction ordinaire du pays, pour le rendre justiciable de son seul consul. Cette dernière prétention fut repoussée par la France ; la plupart