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cette demi-obscurité, le torse à moitié redressé sur le lit, et ma femme qui se tenait debout près de la porte. Toute ma vie je verrai devant moi ces deux jolies têtes blondes, avec leurs visages d’une pâleur presque effrayante. Leurs yeux grands ouverts et encore mouillés de larmes m’enveloppaient tout entier et ne me quittaient pas un seul instant. Ô chères enfants ! leurs physionomies pleines de douceur et de bonté, semblaient vouloir me dire : « Reste près de nous, petit père, ne nous quitte pas… » Et là, à quelques pas de moi, je vis ma femme chérie, qui, les paupières rougies et à demi closes, osait à peine me regarder, de peur d’éclater en sanglots. Une profonde tristesse voilait son front et ses traits exprimaient un sentiment d’épouvante. Brisée d’émotion, le cœur plein d’angoisse, elle ne pouvait prononcer un seul mot. Par moments elle tournait un regard plein de mépris vers celui qui, dans quelques instants, allait m’emmener. Mais cet homme n’osait pas affronter son regard ; il semblait se rendre compte de la monstruosité qu’il allait commettre. Puis lorsque, pour l’embrasser, je me dirigeai vers elle, je sentis mon cœur battre d’émoi et de douleur, mes lèvres entr’ouvertes aspirant péniblement l’air ; ma gorge qui se resserrait étouffait ma voix et je contenais avec peine les larmes qui étaient venues jusqu’au bord de mes yeux… Je la pris dans mes bras, l’embrassai tendrement, et je sentis sa poitrine haletante se soulever à chaque respiration. Après avoir déposé un baiser sur les joues de mes chères petites, je me retournai vers la chère compagne de ma vie et vis des larmes obscurcir ses yeux et glisser sur ses joues. Quoique la souffrance étreignit de plus en plus mon âme, dans un effort suprême, je pus lui dire : « Chère Maria, je t’en supplie, ne pleure pas… » Alors une oppression étrange s’empara de moi ; mes tempes battaient, des sanglots étouffés déchiraient ma poitrine ; mon âme meurtrie implorait l’aide de Dieu ; il me semblait que j’allais perdre la raison.

Épuisé et presque défaillant, lentement, je descendis l’escalier et pris place dans l’automobile qui allait nous conduire je ne sais où.

Avant de partir, mes yeux se levèrent sur la chère maison où nous avions passé ensemble des jours heureux. Là, nous avions appris à nous soutenir, à nous aider, à nous aimer, et cette guerre, cette terrible guerre ! cette maudite guerre ! avec ses