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conseiller technique de l’Agraria à Rome, est, je crois, le seul Sicilien qui m’ait répondu par l’affirmative.

Presque tous mes interlocuteurs ont insisté, d’une part sur l’énorme développement de la population en Italie, de l’autre sur le fait qu’une partie du territoire italien est naturellement incultivable, presque inhabitable. Dans ses Prospettive Economiche » [1], M. G. Mortara évalue cette superficie inhospitalière à 104 000 kilomètres cadrés et arrive à la conclusion « qu’aucun autre pays d’Europe ne parvient à nourrir une population aussi dense, dans des conditions naturelles aussi désavantageuses. » En fait, et cela s’explique aisément, ce sont les régions les moins peuplées, — parce que la nature d’abord et les gouvernements ensuite leur ont été plus avares de faveurs et de secours, — qui fournissent à l’émigration ses plus forts contingents. Dans les conditions actuelles, l’émigration est et sera longtemps encore, pour de nombreux Italiens, une nécessité. Ce problème a été étudié bien souvent et dans le plus grand détail : on n’y touchera ici que dans la mesure où il est lié au problème général dont la crise sociale est actuellement l’exposant.

Durant la période qui précéda la guerre, le nombre des émigrants italiens n’avait cessé de croître : au cours de l’année 1913, il atteignit presque 900 000. La plus grande part était dirigée vers les deux Amériques, et surtout vers les Etats-Unis. Les émigrants, en général, demeuraient fort attachés à leur patrie d’origine ; ils envoyaient la totalité de leur épargne en Italie et souvent y revenaient eux-mêmes après avoir amassé la petite somme nécessaire à l’achat d’un bout de terrain et à la construction d’une maisonnette. Quiconque a voyagé dans les Abruzzes a remarqué, parmi des chaumières sordides, quelques bâtisses assez propres, couvertes en tuiles : ce sont les maisons des « Américains. » Parfois, elles sont inachevées : le propriétaire, après en avoir élevé les murs, est reparti outre-mer pour gagner de quoi la finir. Dans les villages, l’Américain jouit d’une certaine considération : il est mieux tenu, plus instruit, et offre à ses compatriotes l’exemple d’un genre de vie un peu plus relevé. L’Italie retirait ainsi de l’émigration un double avantage, économique et social.

Pendant les années de guerre, l’émigration fut considérablement

  1. Citti di Castello, 1921.