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homme aimable me dit (par l’interprète) que c’est un honneur pour lui, et une chance dont il se félicite, d’être toujours désigné pour accompagner les illustres Européens qui traversent Tripoli.

— Et moi, je me félicite, monsieur le Président, que ce soit vous qui me fassiez visiter un château si fameux en Europe.

— Fameux, me répond-il, il le sera après votre visite.

Ainsi devisons-nous galamment, et à travers la vieille ville nous atteignons, au pied de la côte, les marches cuites et recuites, toutes brunies du château de Raymond comte de Toulouse. Des guichets ferment les ruines, qui servent aujourd’hui de bagne. Nous circulons sur les toits, je veux dire sur des terrasses qui recouvrent les tours coupées à mi-hauteur. Dans les fonds, à trente mètres sous notre promenade, ce sont les préaux des prisonniers. Nous les apercevons par des ouvertures de puits. Ils se grattent, ils causent, ils subissent et attendent. Dans cette ombre sinistre, l’un d’eux est prosterné en prière.

Si je relève mon regard, c’est une vue superbe sur les forêts d’orangers qui enveloppent la ville. La mer, les campagnes, l’univers sont baignés de soleil.

Nous continuons d’errer sur les terrasses de cette chiourme inimaginable. C’est un vaste corps de garde en plein air. On monte, on descend, toujours à ciel découvert. Des coffres aux ferrures barbares et des lits de camp sont installés sous des arbres, que l’on s’étonne de trouver à cette hauteur, merveilleusement poussés parmi les pierres descellées. Et dans les branches de ces arbres sont suspendues des cages d’oiseaux. Une cuisine qui fume en plein air ; des soldats qui circulent, quelques-uns nègres aux figures brutales et jeunes ; des bruits de grilles qu’on verrouille, et partout des abricotiers et des pêchers, des boîtes de pétrole peintes en bleu et vert où poussent des fleurs : c’est la dureté et le bariolage de l’Orient.

Pour finir la journée, nous allons chez le chef de gare de Tripoli, un Syrien, qui ramasse, dans toute la région, les antiquités, les monnaies surtout, et qui, chaque année, me dit-il, envoie ses collections à Paris, à Londres, pour que notre Cabinet des médailles et le British Muséum y fassent leurs choix.

Dans sa petite maison, il étale tout autour de moi ses trésors. O bonheur ! ô délices ! j’ai connu pendant une heure, chez ce chef de gare, les enivrements du numismate. C’est