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chaleur du matin dans une ville orientale du rivage, et cette vibration de couleur, de lumière et de chant…

Dès cinq heures, nous partons, le long de la mer, en voiture, pour atteindre en sept à huit heures Tripoli. Au passage, visite de la cathédrale des croisés, Notre-Dame de Tartous, où pria Joinville, et qui tombe en ruines au milieu des palmiers. Le pathétique de cet endroit, c’est qu’il fut l’un des derniers occupés par les chrétiens en Terre Sainte. Les Templiers, ayant à leur tête l’infortuné Jacques de Molay, durent quitter définitivement le château de Tartous en l’an 1301, et, l’année suivante, l’ile de Ruad.

Après une heure de trajet, arrêt à Amrit, où les deux Renan prirent leur fièvre néfaste, et visite sommaire des ruines phéniciennes. Ce sont trois groupes de pierres : la ville, le stade et le temple. Tout autour, une grande plaine et des marécages. La montagne est couronnée de nuages ; quelques voiles sèment la mer, et, noyé dans la lumière du ciel, je crois voir étinceler le glaive qui frappa Henriette Renan. Au demeurant, un lieu terrible.

Je constate combien il est difficile de garder sa fraîcheur de curiosité. Je sommeille grossièrement et ne goûte plus que le plaisir d’être en voiture, et quelle voiture ! sur quelle piste ! avec l’obligation de mettre pied à terre à. chaque ruisseau, où nos véhicules enlizés ou culbutés menacent de se disloquer !

À partir du village de Mohadjerin, où nous déjeunons, la route s’améliore. Dormons !

Je me réveille aux approches de Tripoli, en entendant annoncer un couvent de derviches et un étang de poissons sacrés. Il y avait longtemps que je n’avais plus rencontré de belle singularité religieuse. Honneur à Derceto, que les Syriens nommaient Atargatis ! Gloire à la Dea Syria, à la grande Astarté, à la déesse poisson I

De vieux arbres épais ombragent des eaux limpides, où s’agitent des milliers de poissons argentés, abondamment nourris par la piété musulmane. Et j’accueille favorablement dans mon cœur cette pieuse pisciculture.

Vers trois heures, nous arrivons à Tripoli, dans un hôtel relativement propre, que tient un de nos compatriotes.