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Je rapporte ces propos qui ne me satisfont guère. Ici, dès qu’on cherche des faits historiques, on entre en pleines ténèbres. De tels renseignements peuvent tout au moins nous donner une idée de ceux qui me les fournissent : on entrevoit, à côté des plus folles crédulités, une veine de dénigrement sceptique. Et parfois une certaine clairvoyance. Écoutez ceci :

— Il y a dix ou douze ans, un des chefs ismaéliens fut accusé d’espionnage pour le compte des Anglais. Ses ennemis l’accablèrent à ce point qu’il pouvait être condamné à mort. Quatre ou cinq cheikhs ismaéliens s’en allèrent à Bombay demander l’intervention du dieu. Il les accueillit en souriant et leur dit que leur ami ne souffrirait aucun mal et sortirait de sa prison, la tête haute, dans quatre mois. Il leur fixa même la date de sa délivrance. Ils insistèrent ; ils firent voir qu’il y avait un dossier formidable, et qu’il courait un danger de mort. Le dieu se contenta de répéter les mêmes assurances et leur donna congé. Ils revinrent et racontèrent ce qu’ils avaient entendu. Tous les Ismaéliens s’inclinèrent, mais les Chrétiens, les Musulmans et les Nosseïris accueillirent l’oracle avec dérision. Cependant, au jour indiqué par le dieu de Bombay, un iradé impérial arriva de Constantinople ordonnant d’élargir immédiatement le prisonnier… Le dieu de Bombay, qui est fabuleusement riche, avait-il agi dans l’entourage d’Abdul Hamid ? ou bien les Anglais étaient-ils intervenus ?

… Je ne me lasserais pas de recueillir de ces traits qui peu à peu rattachent à la réalité nos invraisemblables disciples du Vieux de la Montagne ; mais après ces longues journées de voyage et d’enquête, il faut prendre du repos, et peut-être le lecteur ne veut-il plus en savoir davantage…

Au cours de la soirée, nous avions été avertis que les voitures demandées par nous à Tripoli, car nous étions plus qu’excédés de nos chevaux et de nos mulets, venaient d’arriver heureusement.


DE TARTOUS À TRIPOLI, PAR AMRIT

Un réveil enchanté par les cris des paons, l’excentricité des tortues qui nagent sur la mer, et l’éclat de l’ile de Ruad, brillante comme un îlot des lagunes vénitiennes.

C’est quelque chose de bien caractéristique, la première