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— Vous êtes allés à Bombay ?

— Non, pas encore. Mon oncle Cheikh Nassor y est pour le moment.

— Vous aimeriez bien voir Mohammed Shah ?

— Chaque année, chacun désire y aller.

— C’est lourd, tout de même, de payer le cinquième.

— C’est notre devoir, on paye avec plaisir.

Il s’arrête un temps, et tout d’un coup reprend :

— On voudrait mourir pour lui.

Quoi ? Qu’est-ce donc ? Je prie l’interprète de le faire répéter. « On voudrait mourir pour lui ! » Et quel accent ! quel regard ! Voilà un mot bien beau. C’est, avec les paysages, ce que j’ai trouvé de mieux tout le long de mon voyage. Mais j’aime encore mieux le mot que les paysages. Après cela, je peux suspendre l’interrogatoire.

— Ecoutez, mes chers amis, je suis heureux des sentiments dans lesquels je vous vois. J’admire votre fidélité. Les choses s’arrangeront pour vous. Comme un signe, une promesse, je vous ai apporté un beau texte d’un caractère sacré.

Et déchirant quelques pages d’une édition mi-française, mi-arabe que je portais avec moi, je leur remis « Le noble écrit ou vertus de notre seigneur Rachid-eddin. »

Ils reçurent ces feuillets avec une vive curiosité, et leur chef commença d’en prendre connaissance. À mesure qu’il lisait, une véritable satisfaction illuminait sa figure. Il s’arrêta pour me marquer sa gratitude. Puis il relut, et cette fois à haute voix, à sa vingtaine de coreligionnaires :


« Louange à Dieu, maître de l’univers ! Que ses bénédictions reposent sur tous les prophètes !

« Sachez, ô vrais croyants unitaires (c’est le nom que se donnent à eux-mêmes les Ismaéliens), que nos chefs sont unis à la véritable unité (à Dieu) par les inspirations divines. Leurs âmes saintes sont l’âme universelle et leur sublime raison la Raison universelle. De la sorte, ils pénètrent les choses secrètes… L’essence des êtres se dévoile à eux, par suite du lien qui unit leurs âmes au monde supérieur et de l’attraction qui les élève vers la Cause première. Les êtres, spirituels et corporels, les choses du monde supérieur et du monde inférieur leur obéissent en raison de leur étroite union avec l’Essence des