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— Y a-t-il des Ismaéliens à Konia ? Avez-vous quelque idée que des relations aient existé entre un de vos Grands Maîtres et le poète Djelal-eddin Roumi ? N’est-ce rien pour vous que Chems-eddin ?

Mes questions se pressent. Ils les accueillent d’abord par une réponse, claire : « Autrefois nous avons eu des Ismaéliens à Konia, mais aujourd’hui il n’y en a plus. » Et de là ils passent à toute une suite d’explications obscures, déformations de vieilles histoires séculaires, parmi lesquelles on entrevoit, mais sans espoir de les dégager, de vagues lambeaux de vérité. Je me décourage d’entendre et de transcrire cette confession. Ils voient mon trouble, mon énervement, et avec modestie :

— Ici nous ne sommes pas habitués à discuter des choses du passé. Nous sommes deux ou trois, pas plus, qui savons lire et écrire.

— Mohammed Shah, lui, connaît bien la doctrine ?

— Il connaît tout. (Sur ce mot, ils ont un sourire et s’épanouissent de satisfaction.) Un jour, à Zanzibar, on voulait le photographier avec une masse de peuple, et le photographe ne pouvait pas. Alors, lui, il a crié. Et d’un seul doigt sur l’appareil, le photographe a réussi.

Je marque mon admiration. Le Moudir, avec son profil en bec d’aigle, ne cessait pas de rire intérieurement, je le voyais bien. Il était content d’avoir bien organisé ma réception, et puis il se réjouissait du bon tour que, dans son idée, il jouait à ses amis les Ismaéliens. Mais ceux-ci confusément sentaient que mes préférences allaient à eux.

— Nous croyons, continua le jeune chef, que Mohammed Shah, c’est Hossein ressuscité. (Il baisse la voix et regarde si les autres écoutent). Nous croyons en Jésus-Christ qui a souffert sur la Croix et qui a souffert réellement, car s’il n’a pas souffert, il ne faut pas juger les Juifs.

— Vous n’aimez pas les Juifs ?

— Non, car c’est la nation qui contrarie.

— Enfin, pourquoi lui rendre un culte ?

— Mohammeh Shah est une véritable incarnation d’Allah. L’âme de Mohammed Shah est Dieu. Il est le Temps et l’Existence même. Il est l’Être.

— Alors dans son langage, dans sa tenue, il est surhumain ? Il rayonne de lui une majesté divine, l’étincelle d’en haut ?