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apporte à Bombay la part qui lui revient a rarement l’honneur de le contempler. Presque toujours, paraît-il, l’entretien a lieu à travers un paravent.

— Ah ! je vous remercie bien de tout ce que vous me racontez. Cela m’intéresse passionnément. Quand me les ferez-vous voir ?

— À Khawabi, nous n’avons que des musulmans. Mais le village voisin d’Aker-Zeït est ismaélien. J’ai reçu des ordres de faire ce qui vous est agréable. Je peux, si vous le désirez, vous les présenter demain matin.

— Je vous en serai bien reconnaissant. Et pourraient-ils apporter le portrait de leur dieu, je veux dire le portrait de Mohammed Shah, Aga Khan ?

— Mais certainement. Il faut qu’ils vous l’apportent.

Quand le Moudir m’a quitté, je note aussi exactement que je puis notre dialogue. Et tard dans la nuit, le tapage que mènent nos muletiers m’empêchant de dormir, je songe à bien goûter le plaisir de retrouver vivantes, ici, dans ces vallées, comme je l’avais supposé, les influences des Abdallah, des Hasan et des Sinan. Si débonnaire que puisse être l’aspect des derniers Ismaéliens, je m’interdis de laisser s’affaiblir, s’adoucir en moi l’image de ces terribles génies qui ont si totalement fasciné les ancêtres de ces paysans. Je crois saisir les dernières traces d’une puissance mystérieuse et méchante qui, après tout, peut ressusciter demain. Mon savant confrère, M. Charles Richet, m’a raconté que Donato s’asservissait des individus pris au hasard dans une salle, des individus qu’il n’avait jamais vus. Il se faisait suivre par eux malgré eux. Ce Donato, ou plutôt les quelques centaines de Donato qui courent aujourd’hui le monde seraient-ils un exemplaire très adouci, mais encore assez redoutable, du Vieux de la Montagne ?


LA CONVERSATION AVEC LES ISMAÉLIENS

Au matin, on vient m’avertir que le Moudir arrive avec toute une troupe d’Ismaéliens. Je me hâte de les rejoindre.

Sous les oliviers, les voilà, une trentaine de gens très simples, d’humbles travailleurs campagnards, le front ceint de voiles blancs, et à leur tête un jeune nabi, fin, intelligent, assez rayonnant.

Le Moudir, en veston et en tarbouch, me les présente avec