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l’épargne bourgeoise vous opposerez la prodigalité ouvrière. Où les bourgeois sont cent, les ouvriers sont cent mille. Dépensez tout ce que vous gagnez ; transformez immédiatement vos salaires en bons vêtements, en beau linge, en meubles cossus ; buvez du vin, mangez de la viande. En un mot, faites rouler l’argent, faites marcher le commerce et l’industrie, et rappelez-vous que l’épargne est le principal obstacle à l’avènement de la société future. » L’orateur fut très applaudi. Voilà comment, en 1921, on enseignait l’économie politique aux ouvriers milanais.

Les observateurs les plus compétents et les plus objectifs constatent que « cette modestie dans la manière de vivre, qui distinguait naguère l’Italien, a disparu de la classe ouvrière comme de la classe paysanne, et que l’augmentation considérable des salaires n’a pas eu pour conséquence un progrès dans l’ordre do la civilisation [1]. »


LES TROIS SYNDICALISMES

Après trente ans de luttes, beaucoup plus politiques que sociales ou économiques, le mouvement ouvrier aboutissait en Italie à l’établissement d’un régime de monopole et de jalouse protection, à l’abolition de toute liberté et de toute concurrence sur le marché du travail. Aux champs ou à l’usine, les syndicats rouges exerçaient la même tyrannie ; non contents de régler à leur caprice l’emploi des machines agricoles, ils imposaient aux propriétaires et aux fermiers l’usage exclusif des machines syndicales ; aucun ouvrier ne pouvait être embauché que par leur entremise ; pour chaque hectare de terrain, pour chaque genre de travail, le nombre d’ouvriers requis était fixé par le syndicat, qui, dans les périodes de chômage, allait jusqu’à renouveler les équipes deux ou trois fois par jour, sous prétexte de distribuer équitablement le travail. Dans les industries, sur les chantiers de travaux publics, à bord des navires de commerce, il en allait de même : les Commissions intérieures dictaient leurs ordres et imposaient leurs exigences.

Don Sturzo, en constituant le parti populaire, comprit la nécessité de porter la lutte sur le terrain syndical. Aux ligues

  1. Pantaleoni, op. cit., p. XIV.