Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/724

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pic, au-dessus de la profonde rivière, nous approchons dans le soir, et déjà nous pouvons voir la population debout sur les murs qui nous attend. À ce moment, j’ai écrit sur mon carnet deux lignes que j’y retrouve en riant : « J’aperçois Khawabi, à la fin du jour, dans le ciel, et j’éprouve de l’enthousiasme ! »

Au pied du rocher qui porte la forteresse, devenue elle-même le village, nous trouvons les notables et, devant eux, le moudir, Achmed Bey al-Mahmoud, gros bonhomme à l’air jovial, une sorte de Toulousain, qui soudain me rappelle l’ancien ministre Constans. Ils nous disent que, là-haut, il n’y aurait pas de place pour nous, et qu’ils ont fait établir nos tentes en bas, dans un champ d’oliviers, où ils nous conduisent.

Fort excité par le désir de voir Khawabi, je décide que nous n’attendrons pas au lendemain matin, et que nous allons sur l’heure, dans le crépuscule, gravir à pied la rude côte, avec le Moudir, à qui nous ferons d’abord notre visite.

On entre dans le château par une porte pareille à celle de Marqab. Ce sombre porche franchi, me voici à ciel ouvert (un ciel déjà plein de nuit) dans l’enceinte fortifiée. Une rue y est construite, où je fais quelques pas. Puis à droite, l’escalier et la maison du moudir. Son salon : tout un orientalisme de pacotille allemande. Sur un marbre, devant une glace, une collection de lampes à pétrole en cristal. On sert des verres d’orangeade et le café.

Nous reprenons la visite du village, dans le château. Une seule rue, en rumeur, pleine d’ânes et d’enfants qu’épouvante notre vue. Des femmes bravent la défense de nous approcher, jetées vers nous par la curiosité. Les hommes, très sombres, répondent pourtant à nos « bonjours, messieurs » et à nos saluts. Cette rue finit très vite en cul-de-sac. Il nous faut revenir par le même chemin, sous la même voûte, si noire maintenant qu’on y doit allumer des allumettes. Nous redescendons le long escalier, et trouvons, sous nos oliviers, les tentes dressées. Je m’en vais de fatigue me coucher sans dîner.


LES CONVERSATIONS DE KHAWABI

Je reposais depuis une heure, sous ma tente, quand vers neuf ou dix heures on vint m’annoncer que le Moudir arrivait, à notre campement avec une suite de porteurs de plateaux…