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bénéfice de celui qui consomme ; ou bien l’État réquisitionna la production, pour la livrer lui-même au consommateur, à des conditions inférieures à celles du marché libre. La prorogation indéfinie des baux antérieurs à la guerre procède de la même méthode et aboutit au même résultat : réduction artificielle du prix des logements. Si l’on songe, en outre, que l’impôt sur le revenu n’atteint pas le salaire du travailleur manuel, si élevé qu’il puisse être, on comprendra que plusieurs économistes qualifient de privilégiée la condition actuelle de l’ouvrier italien [1].

« Le recours aux prix politiques, observe le professeur Pantaleoni, est un moyen de faire gravir simultanément à toute une classe un échelon, et de faire descendre un échelon à toutes les autres classes. La hauteur de l’échelon gravi égale celle de l’échelon descendu : au passif, les frais de l’opération [2]. » Si encore l’avantage ainsi procuré à une classe aux dépens des autres était réel et durable ! Mais, d’une manière générale, l’ouvrier italien n’a pas profité des ressources plus grandes dont il disposait pour relever sa condition sociale et celle de sa famille : il mange mieux, il boit davantage, il est mieux vêtu ; mais il continue d’entasser sa femme et ses enfants dans deux chambres sordides et malsaines ; il est assidu au cabaret et au cinéma, mais rarement un livre entre dans son taudis. La femme en est venue à s’épargner les plus minces besognes. A Rome, dans le quartier populaire où j’habite, combien de fois ai-je vu, le matin, les femmes d’ouvriers rapporter de la crémerie une bouteille pleine de café au lait, ou attendre, en causant entre elles, que le cireur du coin eût nettoyé les trois ou quatre paires de chaussures de la famille, qu’elles ne se donnaient point la peine de cirer elles-mêmes !

Le Corriere della Sera a publié, dans son numéro du 6 mai 1921, le budget d’un ouvrier des tramways de Milan et de sa famille. Les chiffres en ont été fournis par l’ouvrier lui-même, à l’appui d’une réclamation qu’il adressait à la municipalité, celle-ci ayant voulu l’astreindre au paiement de la Taxe de famille (impôt communal). La famille, qui se compose de six personnes, dont cinq travaillent, a réalisé au cours de

  1. Depuis que ces lignes ont été écrites, le Gouvernement fasciste a rendu libre le marché des logements et annoncé l’intention d’appliquer aux salaires ouvriers l’impôt sur le revenu.
  2. Pantaleoni, op. cit., p. 36.