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offre une somme, trois cents francs au moins, de Miraut : vendre Miraut ! Lisée en a trop de peine. Il se résigne. « Quand ma chienne aura des petits, je t’en élèverai un, » lui dit un voisin compatissant. « Merci, mon vieux, merci, non ! répond Lisée. C’est Miraut qu’il me faut ; je ne pourrais rien faire avec un autre ! » Quelle histoire ce fut, d’emmener Miraut ! Puis, ailleurs que chez son maître véritable, Miraut ne supporte pas l’existence. Il se sauve. Il revient ; et Lisée n’ose pas le reprendre, ayant reçu les trois cents francs du marché. Miraut, le plus tristement du monde, aboie et se laisserait mourir de faim. Ce que Lisée endure, aux plaintes de Miraut, c’est un supplice.

La sensibilité de Lisée, quand il s’agit de son chien, est jolie et attendrissante. Le même Lisée houspille sa femme et, plus d’une fois, risque de l’assommer. L’aimable Fuseline, quand elle fait la guerre dans le poulailler, semble une diablesse effrayante. Le corbeau Tiécelin, si touché de la mort de son jeune ami et si attentif à célébrer son deuil, est tout de même un terrible oiseau, lâchement sauvage lorsqu’il tombe sur le lièvre blessé. Pareillement, toute la forêt, tout le village, bêtes et gens, réunissent de la gentillesse et de la férocité. Voilà les bêtes et les gens et, digne d’eux, la vie !

Louis Pergaud ne dissimule ni la férocité, ni la gentillesse. Il n’est pas l’un de ces pessimistes forcenés qui peignent la vie des plus sombres couleurs. Il ne pousse pas au noir ce qu’il a vu. On aurait tort aussi de le ranger parmi les juges indulgents de ce monde. Il a vu partout la haine et le carnage. Et ce n’est pas gai. Il a vu l’intelligence et la sottise : l’intelligence ne gouverne pas la sottise. Principalement, il a vu partout la guerre.

Or, il est tendre et bon, Pergaud ; la cruauté l’offense. Mais il ne se laisse point aller aux jérémiades. Son opinion sur la vie comme il a peint la vie dans ses livres, je crois que sa lettre du 2 août 1914, et que j’ai citée, la résume : « Vous savez si je hais la guerre ; mais vraiment nous ne sommes pas les agresseurs… » Il y a la guerre dans le monde, dans le village et dans la forêt, parmi les bêtes et parmi les gens : l’on n’y peut rien. C’est une loi de nature : ces mots, qui ne veulent rien dire, sont les seuls qu’on trouve à dire. Et il faut se battre, sans pusillanimité, sans bavardage triste, en homme.

André Beaunier