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caricatures de l’humanité. Pergaud tient un juste compte de l’analogie et de la singularité.

Une condition de sa justesse intelligente, la voici : Pergaud ne place pas, entre les animaux et lui, une philosophie, un système ; il accueille avec simplicité les petits faits et il s’en amuse.

Il aime les animaux : il n’est pas sentimental. Pergaud sentimental ? Un chasseur ; cruel comme un autre chasseur. Il tue des animaux, cruels eux-mêmes. La nature, telle qu’il l’a vue et la montre, est belle et atroce… « C’était un soir de printemps, un soir tiède de mars que rien ne distinguait des autres, un soir de pleine lune et de grand vent qui maintenait dans leur prison de gomme, sous la menace d’une gelée possible, les bourgeons hésitants. Ce n’était pas, pour Goupil, un soir comme les autres… » Goupil, le renard, est en péril : comme sont en péril les bourgeons. Les bourgeons n’osent pas sortir ; et Goupil combine ses stratagèmes. Il y a, dans la nuit, de l’incertitude. Goupil sera tué : nous aurons pitié de Goupil ; mais Goupil était un meurtrier. La mort de Goupil, c’est la vie sauve à d’autres bêtes.

Une jolie bête, la fouine. Pergaud l’appelle Fuseline… « Née d’amours fugitives à l’avant-dernier printemps, Fuseline, la petite fouine à la robe gris brun, au jabot de neige, était, ce jour-là, comme à l’ordinaire, venue de la lisière du bois de hêtres et de charmes où, dans la fourche par le temps creusée d’un vieux poirier moussu, elle avait pris ses quartiers d’hiver… » Charmante Fuseline ! Seulement, l’hiver, Fuseline bien charmante n’apaise pas sans difficulté « sa soif inextinguible de sang. » Les taillis sont déserts ; il faut aller au village et à la basse-cour, chez les poules : « Elle tranchait d’un coup de dent près de l’oreille la carotide et, pendant que coulait le sang chaud qu’elle suçait voluptueusement, elle maintenait sous ses griffes aiguës comme celles d’un chat la bestiole stupide qu’elle abandonnait, tiède, vidée, flasque, dans les derniers sursauts de l’agonie. » Voilà comment elle travaille. Puis elle s’en retourne au bois, un peu pocharde, le jabot taché de sang, la robe salie, et grosse et grasse, extrêmement gaie, Fuseline si bien charmante.

Roussard, le lièvre, est poursuivi par le chasseur et ses chiens. Cruel, le chasseur ; et cruels, les chiens. Roussard est blessé ; il se sauve à grand peine. « Il courait comme un fou, longeant les sillons retournés, les raies de champs d’éteules, sautant les murs, faisant des doublés le long des haies, des pointes au bord des sentiers, crochant dans les murgers, s’arrêtant dans les trèfles, sentant la fatigue le