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chats de génie. Les différences de l’un à l’autre ne sont pas moins remarquables que les différences d’un homme à un autre. Il y en a qui ont des âmes adorablement compliquées.

Si les animaux ont des âmes est une des questions que pose Louis Pergaud. Laissons de côté la théologie et la philosophie : celle-ci a mené Malebranche à une théorie des animaux-machines, déplorable. Qu’est-ce qu’une âme ? Quelles seront toutes ses destinées ? Laissons cela, qui n’est pas notre affaire. Les animaux ont de la sensibilité, de la mémoire, de la volonté jusqu’à l’entêtement, de l’imagination, de la méditation, de la raison, de la rêverie. Voilà de l’âme, si nous prenons ce mot d’une simple façon qui n’engage pas tout le reste.

L’âme des animaux est-elle pareille à la nôtre, en quelque sorte ? Elle a bien des analogies avec la nôtre. Mais elle ne travaille pas sur les mêmes informations. C’est une remarque très fine, que fait Louis Pergaud : « Vous êtes-vous jamais demandé ce que serait l’éducation d’un enfant qui naîtrait, non point avec une hiérarchie de sens constituée selon la norme humaine, c’est-à-dire pour qui la vue et le toucher constitueraient les organes essentiels de communication avec le monde extérieur, mais selon la formule réglementaire animale, avec l’odorat, l’ouïe et le goût dominant les autres sens ? » Tout est changé, en effet, par la prépondérance d’une information. Pour les hommes, en général, la vue est le sens prépondérant ; pour une quantité d’animaux, c’est l’odorat. Si nous tâchons d’imaginer le monde comme un chien se le figure (et voilà que déjà les mots que j’emploie sont de qualité visuelle), il faut que nous le peuplions d’odeurs variées et distribuées, tout de même qu’il est pour nous peuplé de couleurs et de lignes. Chez certains hommes, les sons prennent une importance qu’ils n’ont pas également pour d’autres.

Ainsi se distinguent premièrement les âmes. Louis Pergaud attribue aux hommes une âme visuelle, aux animaux une âme olfactive. Une âme plutôt visuelle ; et une âme plutôt olfactive. En de tels sujets, où abonde l’incertitude, il convient d’atténuer les mots.

Mais les sens ne donnent à une âme, ou visuelle ou olfactive, que son information, les éléments de son travail. Après cela, comment travaille-t-elle ? Nous avons beau faire, nous ne concevons pas un travail mental extrêmement différent du nôtre, fût-ce pour l’attribuer à des animaux extrêmement différents de nous en apparence. Il s’agit de raisonnement, ce raisonnement fût-il très simple. Il s’agit de discerner des effets et des causes, de prévoir et, une fois la volonté marquée, de produire la cause afin d’obtenir l’effet. La volonté sera