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revue littéraire.

Il avait publié d’abord, aux environs de vingt-cinq ans, deux minces recueils de vers, l’Aube et l’Herbe d’avril. Je n’en ai lu qu’un seul poème, Matin de chasse, que donne M. Edmond Rocher dans une étude amicale et intéressante. Ce sont de beaux vers, d’une prosodie un peu irrégulière, mais de véritables vers cependant, où l’on devine l’influence de Baudelaire et surtout de Rimbaud, je crois, mais où l’on devine aussi un nouveau poète qui, sur un mode ancien, célèbre son émoi

Des rumeurs entr’ouvraient la robe du silence
Et la pudeur du jour rougissait l’Orient,
Lorsque le feu des chiens mena nos pas pesants
Vers la forêt dressant ses fûts comme des lances.

Les rimes imparfaites montrent déjà que Louis Pergaud tolérait mal, au point de les éluder avec désinvolture, les contraintes de la poésie. Dès lors, il s’établit prosateur, et c’est à ce titre qu’il a mérité, sauf quelques reproches, la louange et l’admiration.

En 1910, ses premières « histoires de bêtes, » de Goupil à Margot, lui valurent le prix Goncourt. Ce livre, et puis la Revanche du corbeau, la Guerre des boutons et le Roman de Miraut, chien de chasse, le rendirent promptement célèbre. Il préparait un recueil d’histoires, les Rustiques : et ce fut la guerre.

Le 2 août 1914, il écrivait à M. Lucien Descaves : « Demain lundi, je pars pour Verdun et je viens vous dire au revoir. Vous savez si je hais la guerre ; mais vraiment nous ne sommes pas les agresseurs et nous devons nous défendre. C’est dans cet esprit que je rejoins mon corps. Paris a été digne et grave. Hier soir, je voyais des femmes et des gosses accompagnant le mari qui allait partir… et j’étais saisi de rage contre les misérables qui ont préparé et voulu l’immonde boucherie qui se prépare. Tant pis pour eux, si le sort nous est favorable ! Je vous embrasse. » Il a été écrit beaucoup de lettres de ce genre, à cette date. Celle-ci indique très bien des sentiments simples et nets. Louis Pergaud, sergent au mois d’août 1914, et qui sera sous-lieutenant une demi-année plus tard, se disait « pacifiste et antimilitariste ; » et l’on ne peut douter qu’il ne le fût, mais d’une manière qui ne l’empêchait pas d’être aussi un rude soldat, fier de servir. Car il écrivait : « Notre 166e est un régiment des plus solides et des plus vaillants ; ç’a été un des piliers de la défense de Verdun. On y trouve pas mal de Parisiens, des gens de la Meuse et de Meurthe-et-Moselle, et beaucoup de mineurs du Nord et du Pas-de-Calais. Ce sont de vrais