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Non seulement, ses portraits n’ont rien à craindre de la confrontation avec ceux des spécialistes contemporains ; mais ils leur sont souvent très supérieurs. Ce n’est pas en spécialisant un artiste qu’on en fait un grand artiste, même dans sa spécialité. La « taylorisation » n’est pas une méthode esthétique. L’exemple de J.-P. Laurens confirme une fois de plus ce que l’expérience des siècles passés établit : les plus grands portraitistes sont ceux qui eussent laissé une grande œuvre, quand ils n’auraient pas fait un seul portrait.

Cet exemple nous rappelle encore autre chose : c’est que pour faire un bon portrait, d’un être humain, il faut s’occuper de cet être humain lui-même plutôt que de tout ce qui se passe autour de lui. Une physionomie est due surtout à une structure et à des ressorts internes et non à des influences extérieures. Il ne faut donc point la placer dans une lumière telle et une telle ambiance de forces réagissantes que son caractère propre en soit obnubilé.

Certes la technique impressionniste est précieuse. Elle fait merveille lorsque le sujet du tableau et le but du peintre est la lumière elle-même répandue sur les choses, l’atmosphère qui les baigne, les jeux qui les transforment, et la féerie qui les pare de ses joyaux. Mais si le sujet du tableau est tout bonnement un être individuel, l’artiste doit tirer son individualité hors de tout ce qui l’entoure au lieu de l’y confondre, et pour cela s’abstenir des effets où elle ne joue plus qu’un rôle insignifiant. A voir un certain nombre de figures modernes composées de reflets lumineux et de taches, il semble que tous leurs peintres sortent de la section de camouflage et que, par habitude, ils continuent de faire pour les physionomies ce qu’ils faisaient pour les canons et les tanks : les dissimuler entièrement. Les portraits de Jean-Paul Laurens accusent sans doute un excès contraire, mais quelque discutable que soit leur parti pris d’éclairage et quoiqu’ils sentent fort le renfermé, ils remplissent du moins leur principal objet, qui est de nous montrer, dans un modèle, ce qu’il y a de plus particulier en lui.

Ceux de Marcellin Desboutins, auquel on a consacré aussi deux salles d’exposition rétrospective, nous enseignent la même leçon. Ils ne sont point d’un art ni très puissant, ni très subtil, ni d’une couleur très savoureuse, ni même d’un dessin très personnel, mais ils accusent bien, chez leurs modèles, le caractère.