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étaient aussitôt consenties. Les industriels acceptaient d’un cœur léger des charges qui, tous comptes faits, ne pesaient que sur l’État. L’État, seul client des grandes industries, fournissait les matières premières, avançait les capitaux et achetait la production à n’importe quel prix ; les industriels n’avaient donc pas un intérêt immédiat à discuter la mesure des salaires. La guerre finie, ce qui devait arriver arriva. Les syndicats continuèrent à exiger des augmentations, que les industriels, désormais contraints de produire à des conditions normales, ne pouvaient plus accorder. Les ouvriers insistèrent ; les industriels les menacèrent du lock-out. M. Giolitti prévint les chefs d’industrie que, s’ils fermaient les usines, le Gouvernement ne répondrait pas des conséquences. Là-dessus, comme les industriels ne cédaient point, cinq cent mille ouvriers occupèrent simultanément près de six cents usines.

Soucieux avant tout d’éviter la guerre civile, conscient, d’autre part, de la faiblesse des moyens dont il disposait pour faire respecter la loi, M. Giolitti ne tenta même point de faire évacuer par la force les usines occupées : mais il proposa aux industriels et aux ouvriers les bons offices du Gouvernement en vue d’une conciliation : cette offre fut acceptée. Le jour où le président du Conseil fit connaître aux délégués de l’industrie et à ceux de la classe ouvrière les conditions de l’accord par lequel il avait résolu de mettre fin à la crise, M. Crespi, qui représentait les industriels, prit la parole et dit : « Les industriels ne croient pas pouvoir accepter ces conditions. Si pourtant le Gouvernement nous déclare que son intervention a le caractère d’un acte d’autorité souveraine, nous nous y soumettrons. — A de certains moments, répliqua M. Giolitti, il faut bien qu’il se trouve quelqu’un pour assumer la responsabilité. » Puis il quitta le lieu de la conférence. Ainsi fut conclu l’accord du 19 septembre 1920.

La base de l’accord, c’était l’établissement, au profit des syndicats, d’un droit de contrôle, non seulement sur l’organisation du travail dans les usines, la police et l’hygiène des ateliers, l’embauche et le renvoi des ouvriers, — ce que les Allemands nomment la direction sociale de l’entreprise, — mais aussi sur sa direction technique : achat des matières premières, procédés de transformation, transports, débouchés, et même organisation financière.