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vie, présente précisément ces belles harmonies réclamées par le sentiment esthétique, et c’est là, d’ailleurs, qu’il faut chercher la raison de leur étonnante fortune : telles les Nativités, les Adorations des Mages, les Triomphes de Bacchus ou les Naissances de Vénus... Ce n’est point du tout parce qu’ils offrent un thème à notre méditation que les artistes de tous les temps y sont revenus ; c’est parce que les caractéristiques les plus émouvantes de la nature et de la vie s’y trouvent. Que, dans une réunion de famille et d’amis, on apporte un bébé : aussitôt un cercle se forme, un groupe s’articule, s’étage, des yeux s’allument, des bras se tendent, des expressions naissent, et, par le simple jeu d’une action spontanée, un intérêt plastique et pittoresque est né. Voilà le « sujet. »

il y a donc une vertu esthétique dans le « sujet, » tout à fait indépendante de sa signification intellectuelle. Cela est si vrai que nous trouvons un intérêt puissant à des groupes ou à des actions auxquelles nous ne comprenons goutte, comme l'Afonso d’Avalos de Titien ou son Amour sacré et l'Amour profane, ou le Printemps de Botticelli. Ce n’est donc point parce que le sujet rassasie notre intellect, à la manière d’une histoire ou d’une thèse, qu’il nous émeut, c’est parce qu’il a suscité des gestes et des harmonies qui répondent à nos goûts d’ordre ou de contraste, de variété, d’unité, de vigueur ou d’élégance, — qui sont bien des sentiments esthétiques. Là, le sujet a été utile et même nécessaire à l’artiste pour concevoir son œuvre : il ne nous l’est plus pour la goûter. Mais la force de son intention, que nous ne saisissons plus, a passé dans les formes et les couleurs que nous saisissons et leur garde sur nos imaginations une prise qu’elles n’auraient point sans lui. De plus, le sujet même incompris, même deviné à peine, ou controversé, arrête notre attention et la fixe sur des nuances de la vie auxquelles peut-être nous n’aurions pas pris garde. Enfin, une action déterminée oblige l’artiste consciencieux à rechercher le geste efficient et particulier, à le serrer de près jusqu’à ce qu’il remplisse son objet, au lieu de se contenter d’une banale périphrase.

D’ailleurs, les sujets abondent dans la nature, ou dans le train habituel de la vie. Il n’y a rien d’artificiel à les admettre dans l’art : ce qui est artificiel, c’est de leur tourner le dos, et de se les interdire, par révérence pour les ukases et apophtegmes de la critique ou de l’esthétique régnante. Elle change d’ailleurs si