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pénétré comme lui le texte sacré pourra tenter de le résumer comme lui. Encore y faut-il des dons de coloriste. On prend un bain de chaude lumière à considérer ces taches et ces tourbillons de carmin, d’ocre ou de cadmium. On est ébloui par ce foyer concentré de rayons qui brûle à l’horizon et transforme toutes les choses de la terre et du ciel en des métaux en fusion. Avez-vous jamais observé ce qui arrive lorsque vous regardez un tronc ou une branche d’arbre ou un angle de mur à contrejour coupant le disque du soleil bas sur la ligne d’horizon ? Ce n’est pas le soleil qui est coupé : c’est le corps solide à contre-jour qui est échancré, rongé par les rayons lumineux qui viennent frapper notre rétine. Ainsi, chez Ravier, comme chez Turner qu’il a rencontré sans le savoir, l’incandescence solaire brûle, élime et élimine le contour de chaque objet, le pénètre à tel point qu’on est tenté de redire ces vers du poète persan :

Et si tu coupes un de ces atomes,
Tu lui trouveras un soleil dans le cœur…

Il y autre chose que des aquarelles dans cette collection : on y voit des huiles faites surtout dans la campagne romaine en la compagnie peut-être et sûrement sous l’invocation de Corot. Elles sont fines, mesurées, assourdies, lumineuses comme celles de Corot lui-même. Mais ce sont les aquarelles qui dominent et dans l’aquarelle, Ravier ne doit rien à personne. Turner seul peut être cité à propos de lui. Encore les différences avec Turner sont-elles plus nombreuses que les analogies. Ah ! il n’a pas couru le monde comme le surprenant sorcier de Chelsea ! Ce frère de Soulary n’a guère étudié la Nature qu’en Dauphiné, mais le Dauphiné, pays de coteaux, de rochers, de bois, de vallées profondes aux eaux ramassés dans les marécages, ou tourbillonnantes dans des torrents, de plaines aussi, mais où la plaine sert toujours de parvis à la montagne, est un microcosme admirable des bienfaits de la Création. Les essences d’arbres les plus diverses, les persistantes comme les éphémères, les fruits aux écorces défensives et ceux qui fondent dans la bouche, la figue, la châtaigne, le mûrier, la vigne et les glaciers, il a tout, sauf la mer. Son seul défaut, pour le coloriste, est son peu de diversité dans les verts de ses feuilles et les reflets de ses eaux, pendant l’été. Mais vienne l’automne et l’infinie variété de sa végétation se révèle par la couleur propre à chaque essence :