le Punch tout entier en Angleterre, Dana Gibson en Amérique et ce que Daumier attaqua était un pouvoir tout neuf, l’apparition au sommet de la société d’une couche nouvelle. M. Forain n’a pas innové sur ce point.
Mais voici où est l’enseignement de cette œuvre pour l’art d’aujourd’hui. Regardez un dessin de M. Forain, quel que soit son procédé, mais surtout ses admirables eaux-fortes, âpres et colorées comme celles de Rembrandt, ses Enfants prodigues, ses Pèlerins d’Emmaüs : il est difficile de dire plus de choses en moins de mots, qui sont ici des jambages ou des taches. Il n’y a guère qu’une ligne forte, appuyée, onduleuse et suivie : celle de l’épaule et de l’échine, qui, à elle seule, vous dit sous quel poids, vice, sottise, pitié, douleur, penche la figure. Après, ce ne sont que bâtons rompus, boucles inachevées, échelles de petites virgules, pluie oblique de hachures. Mais chacun de ces traits a sa place, sa direction et son accent nécessaires et suffisants pour rendre une proportion, un geste, même une valeur, car au rebours de la plupart des dessinateurs linéaires, M. Forain peint avec son crayon. C’est le triomphe de l’ellipse. Il y a tout l’essentiel et il n’y a que l’essentiel. De la sorte, le dessin elliptique répond à un double besoin de l’esprit moderne, blasé sur les plaisirs de l’imitation détaillée de l’objet, et tributaire pourtant de l’artiste, aujourd’hui comme autrefois, pour découvrir, dans le dédale des apparences, le fil conducteur qui mène au caractère typique de cet objet. Ainsi a-t-il une double saveur, la saveur de l’énigme et celle de la révélation. En supprimant l’accessoire, il oblige le regardant à suppléer, à faire jouer son imagination et à collaborer avec l’artiste pour la reconstitution complète de l’objet. Mais aussi, en supprimant l’accessoire, que le regardant rétablit sans peine, il révèle le principal que le regardant n’aurait point, même au prix de grandes peines, démêlé. On se sait gré de découvrir ce qui manque et on sait gré à l’artiste de montrer ce que, sans lui, on n’aurait su voir.
Pour que le public, dans son ensemble, éprouve ce délicat plaisir, il a fallu que l’éducation de son œil se fît peu à peu et que des joies de la comparaison ou de la confrontation avec le modèle, il parvînt aux joies de la découverte et de la caractérisation. Ce stade, il l’a atteint aujourd’hui. Il n’a plus besoin qu’on lui dise tout, ni même beaucoup de choses. Mais encore faut-il