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eux-mêmes, leurs légendes. On ignore jusqu’à quel point Daumier les fit. Gavarni créait bien les deux, et chacun vaut par sa vertu propre, tant il y a d’observation juste dans le geste et de profondeur dans le mot. Mais chez Gavarni, le dessin ne suivait qu’avec peine le mot, celui-ci étant prompt, léger, ailé, celui-là très appuyé, compliqué, calamistré, — sauf dans sa dernière période, celle des Thomas Vireloque. C’est à ce Gavarni-là que M. Forain a succédé, après un long interrègne, Cham ne pouvant, en vérité, être cité auprès d’eux. Et de nul autre on ne pourrait dire, remontât-on à Gillray et à Rowlandson, que son style est le même dans les deux langues dont il s’est servi.

La rançon de ce mérite, c’est que les deux sont inséparables. Nombre des légendes les plus fameuses de M. Forain : « Elle était si belle sous l’Empire ! » — « Tiens ! T’es peintre ! » — « Il est peut-être anglais, celui-là ? » sont tout à fait inintelligibles sans le dessin. Et ses dessins, quoique valant isolément par leur signification esthétique, ne peuvent point du tout nous suggérer une morale en action comme les histoires sans paroles de Busch ou de Caran d’Ache. Pourtant, et c’est ce qui ressort de cette exposition, assez complète de son œuvre : crayons, sépias ou encres de chine, aquarelles, eaux-fortes, lithographies, enfin tableaux à l’huile, M. Forain, même muet, apporte sur son temps un complet témoignage. Qu’on regarde son petit cadre : Pendant un entr'acte, ou ses différentes scènes d’audience, notamment les Pièces à conviction : Holbein et Goya n’ont pas plus fortement caractérisé leurs contemporains.

Mais ceci n’est qu’un côté de son diptyque. Chez M. Forain, l’esprit de l’humoriste ou, pour employer le mot d’ordinaire très mal défini du « caricaturiste, » a, depuis longtemps, par une espèce d’orthogénèse, évolué dans le sens religieux et quelquefois épique. Une foule de sujets, ici, des paraboles de l’Évangile, des scènes de la Passion, des impressions rapportées de Lourdes et de la dernière guerre, où l’artiste a lui-même joué son rôle, attestent le besoin où il est d’un acte de foi. Il ne faut pas s’en étonner : c’est l’envers ou, si l’on veut, l’endroit du scepticisme. Et même chez les professionnels de la caricature, c’est la loi commune. Ils sont traditionalistes et conservateurs par essence, voire même rétrogrades, — je parle des meilleurs : Hogarth, Gillray, Grandville, Gavarni, Cham, Caran d’Ache,