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son prestige, il faut donc qu’il soit unique et qu’il soit révélateur, qu’il concentre les œuvres des meilleurs artistes et qu’il les concentre pour la première fois. Faute de quoi, l’Art français pourra bien continuer sa carrière, mais l’institution nationale dite « le Salon, » avec ses milliers d’exposants et ses kilomètres de peinture, deviendra, s’il n’est déjà devenu, un événement moindre qu’autrefois la suspension du Passage du Granique dans la cour de l’hôtel de Richelieu ou des quelques toiles de l’Académie de Saint-Luc en plein vent, place Dauphine, sur le parcours de la procession de la Fête-Dieu...

I

Pour le sauver, cette année, on a fait appel aux morts. On a pensé qu’ils seraient plus accommodants que les vivants sur le point épineux des préséances. Et l’on a créé, au beau milieu des Salons, de petites salles rétrospectives dédiées à Jean-Paul Laurens, Marcellin Desboutins, Ravier, Pierre Roche et un artiste des plus vivants, Dieu merci, mais qui nous rappelle un passé déjà lointain, M. Forain. Celui-ci occupe, à la Nationale, une salle du rez-de-chaussée et une autre au premier étage. Là, il jouxte les aquarelles de Ravier, paysagiste lyonnais, provincial à plaisir, comme M. Forain est furieusement de Paris, mais d’un Art si libre et si rayonnant au-dessus des frontières qu’on se croit parfois entré par mégarde à la Turner Gallery. Et il se trouve, d’aventure, que la leçon émanée de ces deux maîtres, d’ailleurs tout différents et fort inégaux, est sur un point la même et également utile à rappeler.

Ce qui donne à M. Forain sa physionomie propre parmi les vivisecteurs du cœur humain qui nous ont raconté leurs expériences comme lui en deux langues, c’est qu’il a le dessin de ses mots et les mots de son dessin. Il a tant de talent qu’il pourrait se passer d’esprit et tant d’esprit qu’il pourrait se passer de talent. Chez lui, le trait d’humour et le coup de crayon partent ensemble, vont aussi vite au même but, et aussi justes, aussi brefs, aussi aigus l’un que l’autre, ne font qu’un. Comme on ne pourrait pas ôter un mot à ses légendes, sans les rendre inintelligibles, on ne pourrait effacer un trait de ses dessins, sans leur enlever quelque chose d’essentiel. Ceci est fort particulier. Nombre de maîtres du dessin humoristique n’ont jamais fait