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nombre d œuvres intéressantes les deux autres Salons qui y sont installés. Du moins peut-on espérer qu’elle réunisse toutes les œuvres de ses adhérents ? Point du tout et tels d’entre eux ont aussi des vitrines remplies de céramiques, soit à la Nationale, soit aux Tuileries. MM. les artistes se font une idée vraiment exagérée des appétits esthétiques de l’amateur et de ses facultés ambulatoires. A multiplier à l’infini les Salons, on risque de tuer le Salon.

Maintenant, cette institution est-elle bien nécessaire à l’Art ? Assurément non. L’Art, à ses plus grandes époques, n’a pas connu d’expositions publiques, je veux dire où des œuvres dues à différents artistes et destinées à des objets différents fussent présentées ensemble, à tout venant, hors de la place qu’elles devaient occuper. L’Art, comme la science, vivait de secret plus que de publicité. Il est vrai que celle-ci revêt plus d’une forme : la statuaire était jadis destinée presque exclusivement à des monuments publics, la peinture religieuse aussi ; les grandes décorations des palais particuliers étaient plus accessibles que de nos jours : le public les voyait donc sans qu’il fût besoin de les exposer. Mais le grand point est celui-ci : l’œuvre d’art n’était jamais conçue et exécutée en vue d’une exposition et d’une publicité préalables à son usage. Et d’ailleurs, tout ce qui était portrait, scène de mœurs, paysage, allégorie dans de petits cadres ne sortait pas de chez les possesseurs, plus jaloux des joies de la contemplation que des éloges du voisin. Or cette absence de publicité n’a jamais nui aux maîtres d’autrefois.

Ainsi, l’on peut fort bien concevoir l’Art sans exposition publique. Ce qu’on ne peut pas concevoir, c’est l’exposition publique, sans public, j’entends sans un public suffisant pour légitimer un si formidable appareil, une armée si nombreuse de manœuvres, et pour les faire vivre. Et comme il faut cependant que les délicats y trouvent leur pâture, le Salon, pour vivre matériellement et ne point perdre cependant ses raisons supérieures d’être, doit réunir en un faisceau toute la production viable de l’Art français depuis une année. De là, pour les maîtres qui le dirigent, un double devoir : interdire sévèrement l’accès de leur Salon aux œuvres médiocres qui remplissent tant de salles du Grand Palais et s’interdire à eux-mêmes de montrer les meilleures dans une foule d’expositions particulières qui émoussent la curiosité. Pour que le Salon recouvre