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Sinzheimer, député social-démocrate, me déclarait que « les Betriebsraete feraient l’éducation économique et sociale des ouvriers allemands comme les syndicats avaient fait leur éducation politique, » je jugeais sa prédiction optimiste, mais nullement déraisonnable. Lorsqu’en septembre 1920, au Sénat de Rome, j’ai entendu M. Giolitti soutenir que l’exercice du contrôle sur les industries procurerait à l’ouvrier italien une précieuse expérience de la vie économique et lui rendrait manifeste l’exagération de quelques-unes de ses exigences, cette affirmation m’a paru très audacieuse, et j’ai vu qu’elle inspirait à de plus compétents que moi des doutes malheureusement justifiés.

L’éloquence joue un grand rôle dans les congrès socialistes italiens ; les chefs du parti ont à un degré éminent l’expérience des foules et l’art de dominer et d’émouvoir les grandes assemblées. Mais leur doctrine est généralement inférieure à leur talent. Je crois qu’ils ne se seraient pas dérobés si longtemps aux responsabilités du pouvoir, s’ils s’étaient sentis mieux préparés et techniquement plus capables de l’exercer. C’est un fait remarquable, étant donné l’importance du rôle joué par les socialistes dans la politique italienne, qu’il ne se soit pas encore rencontré parmi eux un homme de gouvernement. L’exemple de Bissolati n’est pas de nature à affaiblir la portée de cette remarque.

À l’insuffisante culture des chefs correspond l’ignorance profonde des masses qu’ils se sont donné mission d’entraîner. Et c’est précisément à ces masses ignorantes qu’un Gouvernement trop faible, ou trop hardi, allait brusquement confier un rôle important, peut-être décisif, dans l’organisation de la production, dans l’économie nationale. A la base de cette politique, observe M. Pantaleoni, il y avait « une surestimation énorme des fonctions de l’ouvrier, de ses capacités intellectuelles et morales, de sa contribution à la confection d’un produit capable de trouver un marché et de répondre à un besoin [1]. »

Une propagande intense avait été faite durant la guerre sur le double thème : « la terre aux paysans, les usines aux ouvriers. » Les ouvriers s’étaient d’abord contentés de réclamer périodiquement des augmentations de salaires, qui leur

  1. Pantaleoni, Bolcevismo italiano, p. 89-90 (Bari, Laterza, 1922).