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manœuvres, les ouvriers non qualifiés, payés à la journée ou même à la tâche, ne travaillent que s’ils sont soumis à une surveillance étroite et à une discipline rigoureuse. Or, la surveillance coûte très cher et la discipline, dans les conditions imposées par le syndicat, est devenue fort difficile à exercer.

Les insurrections ouvrières de 1898 avaient été réprimées avec une sévérité excessive ou maladroite. Dès 1903, le Gouvernement change de méthode et adopte, dans les conflits entre capital et travail, une neutralité qui semble parfois moins favorable aux employeurs qu’aux employés. Tantôt pour des raisons politiques, tantôt à seule fin de maintenir un ordre apparent et, comme on dit vulgairement, d’avoir la paix, les hommes au pouvoir renoncent à faire respecter la loi, quand c’est l’ouvrier qui l’a violée, et montrent moins d’empressement à accueillir les doléances des entrepreneurs qu’à satisfaire les exigences des syndicats. La législation sociale demeure longtemps fort imparfaite, soit dans les textes, soit dans l’application. La loi qui réglemente le travail des femmes et des enfants, ébauchée en 1886, ne reçoit une forme définitive qu’en 1902 ; la loi sur les accidents du travail est de 1904 ; l’Office du travail est créé théoriquement en 1902. Ces dernières années ont vu apparaître une série de lois compliquées touchant les différentes assurances ouvrières. Dans la pratique, tout cela fonctionne médiocrement. Les économistes italiens les plus objectifs reconnaissent que, si l’Etat avait consacré à l’étude et à la réalisation de réformes sociales simples et pratiques les sommes énormes qu’il a englouties en allocations, en subsides extraordinaires, en subventions attribuées sous forme directe ou indirecte à d’innombrables coopératives, on aurait pu éviter l’antagonisme aigu qui, dans l’Italie d’aujourd’hui, fait apparaître comme inconciliables ces deux termes complémentaires : développement de la production et amélioration du sort de l’ouvrier, progrès économique et progrès social.

Les organisations ouvrières se sont occupées beaucoup de politique théorique et peu de sociologie appliquée. J’ai fréquenté des secrétaires de syndicat en Allemagne et en Italie : l’Italien est plus intelligent, plus ouvert et s’exprime mieux sur des sujets qu’il connaît mal ; l’Allemand a des limites plus étroites et parle avec beaucoup moins d’aisance sur des questions qu’il a soigneusement apprises dans leurs moindres détails. Lorsqu’au mois d’août 1919, à Weimar, le docteur