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véritables amitiés, — mais quand ils séparent les amis, il est difficile de n’en pas tenir compte, et les aspirations éternelles vers l’objet aimé usent l’âme et lui amènent un désespoir lent ; le doute, jamais !

Dans deux mois j’aurai salué les Jardies et son propriétaire.


Balzac répond aussitôt. Il ne peut actuellement rembourser Borget : « Pour le moment, écrit-il à Mme Carraud, ce que vous me demandez est absolument impossible : mais, dans deux ou trois mois, rien ne me sera plus facile. A vous, ma sœur d’âme, je puis confier mes derniers secrets ; or, je suis au fond d’une effroyable misère [1]

Nouvel arrêt dans la correspondance qui reprend le 11 mars 1840 par cette lettre de Mme Carraud, datée de Versailles.


Je ne sais qui m’a dit de votre part, mon ami, que vous passiez votre vie au théâtre et que vous ne pouviez me voir. J’ai attendu la fin de cette crise de votre vie pour vous demander quel jour je pourrais vous rencontrer. Le lundi gras, j’ai fait tout le faubourg Poissonnière sans pouvoir trouver la maison de Laure, que je croyais sous le n° 27, rue du faubourg [2]. Sans doute j’ai perdu son adresse. Oui certes, je désire vivement assister à votre représentation. Si Laure n’a pas de place, tâchez de me le faire savoir : je chercherai à m’en procurer une pour moi et une pour un conducteur quelconque, car je ne sais pas marcher seule le soir. Ne m’en veuillez donc pas si je ne vous ai pas dit que je fusse ici ; je craignais de vous occuper de moi dans un instant aussi solennel ; mais chaque fois que j’ai passé devant les Jardies, je vous ai adressé une de mes aspirations les plus vives.

Quand pourrai-je vous y voir ?

Adieu, je veux que cette lettre parte tout de suite ; tenez, voici ma main.

ZULMA.

Amitiés à Laure.


Mme Carraud tombe bien, Balzac est en pleine tourmente théâtrale : le 14 mars, Vautrin sera représenté pour la première et unique fois sur le Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Le 1er avril, Mme Carraud écrit de nouveau à son introuvable ami :

  1. Correspondance, I, 453 (lettre de décembre 1839 faussement datée de mars).
  2. Les Surville habitaient au 28 (et non 27) du faubourg Poissonnière.