Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/639

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais ne parlez pas de cela, c’est un secret. Ce doit être une fille ambitieuse et spirituelle [1]. » Mme Carraud répond le 2 décembre 1839 :


Quoi, vous n’êtes pas heureux ? Vous ne vivez pas dans la réalisation d’un de ces rêves qu’on ne fait que quand on est jeune ? Le bruit populaire est donc bien menteur ! Vous croyant dans cette atmosphère parfumée d’amour que l’on ne respire qu’une ou deux fois dans la vie, je n’osais vous écrire, regardant mon intervention comme une profanation et, loin de là, votre cœur saignait, pauvre Honoré. Quelles consolations puisse vous donner, quand je vous aurai dit que je vous aime bien et que dans les plaies de cœur, le souvenir des bonnes et chastes amitiés sert de baume ? Car consolations est un vain mot. On est las de souffrir et par conséquent amoindri alors qu’on en cherche ; et quand on les cherche, elles vous arrivent de toutes parts, des choses aussi bien que des personnes. Mais quand on souffre et que l’on est à la hauteur des maux que l’on endure, les consolations sont corrosives. Je vous dis cela comme quelqu’un qui l’a cruellement expérimenté.

II a fallu payer les sept cent six francs d’Auguste ; nous avons dû recourir à ses frères, banquiers, qui n’ont voulu prêter à leur frère absent qu’autant que nous répondrions de la dette ! Et ils vont être, sous peu, détenteurs de sa part d’héritage d’une tante de quatre-vingt-sept ans qui ne saurait vivre longtemps. Voilà les gens d’affaires.

S’il faut perdre cette somme, nous la perdrons plutôt que de laisser le nom de notre ami entaché. Quand vous pourrez délivrer notre caution, vous nous obligerez. Vous me bercez du plaisir en herbe de venir causer sous l’ombrage de nos noyers ; mais je n’y crois guère : vos travaux et vos relations ne vous laisseront jamais le loisir d’un voyage de simple amitié. Ce sera moi qui visiterai les Jardies avant que vous songiez à me demander de nouveau l’hospitalité. J’espère y aller plus souvent que l’année dernière, car je choisis mieux ma saison. Je ne quitterai Frapesle qu’à la fin de janvier et je verrai le mois de mars à Montreuil. J’irai donc critiquer vos jardins tout à mon aise, en femme qui en a acquis le droit en cultivant les siens de ses propres mains, si ce n’est de ses mains blanches. Je n’ai pas

  1. Correspondance, II, 14 (lettre de 1839 faussement datée de 1840).