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type qu’on rencontre rarement ; du Tourangin [1] pur ; c’est un morceau d’artiste à étudier.

Adieu, mon cher Honoré ; je n’ai pas le cœur plus allègre que par le passé. Que le ciel vous donne et santé et courage, afin que le petit éden des Jardies ne vous coûte ni un soupir ni un regret ! Je ne tarderai pas à vous y voir. Carraud est absent pour la journée. Depuis trois mois et demi je n’ai pu rien faire : Yorick n’a pas quitté mes genoux.


Mme Carraud a pu s’échapper de Frapesle. La voilà arrivée à Versailles et, le samedi 15 décembre, écrivant à Balzac :


Je suis ici, cher, à deux lieues de vous ; j’y suis depuis douze jours, et je ne vous ai pas encore vu ! Je voulais vous aller surprendre, lorsque, lundi dernier, à mon retour de Paris, on me dit qu’on vous attendait à dîner. Vous n’êtes pas venu et vous n’avez fait aucune réponse, et nous avons tous pensé que vous n’étiez pas aux Jardies. Lasse pourtant d’attendre, je vous écris aujourd’hui pour vous prier de me dire quand vous serez chez vous ; il faut absolument que je vous voie ; mon plaisir ici ne saurait être complet sans cela. Ecrivez-moi vite le jour où je vous trouverai ; dites-moi aussi l’adresse de Laure, qui m’a peut-être oubliée, mais que je serais heureuse d’embrasser.

Adieu, cher, comme nous causerons !...

ZULMA.


Pendant de longs mois, la correspondance cesse, pour reprendre le 12 octobre 1839, par cette lettre de Mme Carraud, datée de Frapesle :


My dear, vous êtes heureux, je le sais, et je n’ai voulu mêler aucune pensée étrangère aux délices de votre vie actuelle. La mienne est fort occupée et mes occupations sont vulgaires. Je suis concentrée dans ma vie rurale et je prends garde que rien ne vienne me réveiller de cet engourdissement salutaire. Pourtant, le milieu d’août, en me ramenant mon fils et plusieurs de ses camarades, a rendu momentanément l’animation à Frapesle ; puis les amis sont venus, un à un, lentement, et m’ont rappelée à l’existence intellectuelle. Quelques rares lectures s’en sont suivies ; j’ai su que vous aviez publié le Grand homme de province et je me le suis procuré. C’est une œuvre

  1. Mme Carraud est née Tourangin.