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Merci de votre souvenir à Yorick ; c’est un gros garçon qui n’en sent pas le prix.

Mille et mille tendresses.

ZULMA.


J’ai oublié le nom, est-ce Fanny, ou Jenny [1] ?


Balzac, très touché par la lettre de Mme Carraud, lui répond des Jardies : « Mille tendres mercis pour votre bonne lettre : car, quelque pressé que soit ce pauvre laboureur, il gardera plutôt son grain à la main pour venir dire à une aussi vive et sérieuse amitié : « Je la sens par tous les pores [2]. » Le commandant Carraud et l’ami Périolas auront eux aussi leur dédicace plus tard.

Balzac travaille toujours à force : « C’est des quatre volumes, des trois ou quatre comédies faites ou en train, puis des exigences d’argent à épouvanter, des ennuis à périr. » Il soupire après une vie plus paisible, une vie de curé : « Une femme de trente ans, déclare-t-il, qui aurait trois ou quatre cent mille francs et qui voudrait de moi, pourvu qu’elle fût douce et bien faite, me trouverait prêt à l’épouser, elle payerait mes dettes, et mon travail en cinq ans l’aurait remboursée. »

Le 12 novembre 1838, Mme Carraud écrit à Balzac :


Le temps passe, caro, et je ne suis pas à Versailles, et je n’ai pas encore vu les Jardies ! C’est que la somme de mes immolations n’est pas remplie encore ; c’est que, à mesure que la santé de Yorick s’améliorait, quelqu’un de ma maison retombait ; et, quoique ce ne fussent que des gens de service, ma présence n’en était pas moins nécessaire ; plus même, car les innombrables préjugés de cette classe rendent la maladie doublement dangereuse pour elle. Enfin je suis encore liée ici par la maladie fort grave de ma cuisinière. Et, pourtant, j’aurais mille raisons d’être auprès de mon cher exilé. Ce commencement de vie publique, dénué de tendres soins et d’affection, lui est bien dur et je voudrais l’aider dans cette initiation, comme il le dit. Le voilà lancé dans le monde, sans appui de cœur ; il me tend les bras et il ne saisit rien. Il se pourrait donc, si la fatalité ne s’attache pas trop à moi, que je frappasse à la porte des Jardies

  1. Il s’agit du personnage de Fanny O’Brien, dans Beatrix, l’ouvrage que Balzac écrivait à ce moment, et pour lequel la comtesse Guidoboni-Visconti (qui vint vers cette époque habiter aux Jardies) lui avait servi de modèle.
  2. Correspondance, I, 428.