Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/631

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maudit soit le Génois ! Et vous aviez deviné ! Je me reproche ces bonnes heures de Frapesle ; peut-être, si vous n’y fussiez pas venu, auriez-vous entrepris votre voyage quinze jours plus tôt. Faut-il donc sentir une épine au fond des jouissances les plus saintes ? Comme c’eût été bon, douze cent mille francs ! Comme vous eussiez été heureux de faire face à cette nécessité qui vous poursuit sans cesse, et de lui faire la grimace ! Enfin, les Jardies, et l’espérance d’un succès au théâtre [1], c’est bien quelque chose ; puis une visite d’amie que je vous promets pour cet hiver, car je m’établirai à Versailles, auprès d’Ivan, pendant trois mois au moins. Si, quand j’irai passer trois ou quatre heures chez vous, vous m’aimez assez pour m’établir dans votre salon avec un livre et remonter dans votre cabinet pour continuer votre travail, je vous promets de faire des Jardies le but constant de mes promenades. Concevez-vous combien je serai contente de vous voir au milieu de vos habitudes, chez vous enfin, où vous devez être bien plus parfaitement vous que partout ailleurs ?

Oh ! si, vous reviendrez à Frapesle, et encore pour vous y reposer, pour vous remettre d’un travail excessif, d’une vie tout intellectuelle ! Si vous ne veniez que pour moi, je ne sais trop quels remords me poindraient, et de vous recevoir aussi bourgeoisement, et de vous dévorer des heures qui, employées partout ailleurs, vous rapporteraient plus de jouissances !

Ivan m’écrivait de Savoie avant-hier, heureux et fier de se trouver à Chamonix et de descendre le Montanvert avec son bâton ferré. J’espère le voir prochainement ; voici longtemps qu’il est parti, trois mois ! C’est plus que je ne peux supporter, et il faudra le rendre aux études avant un mois ! Le bonheur que me donnait cet enfant est troublé à jamais ; je ne le ressentirai que par réflexion et non plus directement. Ivan, c’est une émanation de moi, c’est mon rêve chéri. J’aime Yorick d’une tendresse protectrice qui me rend plus matériellement heureuse, mais qui n’a rien de poignant. On m’a écrit de Versailles que M. Périolas allait s’y établir et y prendre sa retraite [2]. Je vous le souhaite ; c’est un beau type d’homme et un ami consciencieux

  1. Projet d’un drame en trois actes qui ne fut jamais exécuté : La Gina, « Othello retourné » (Lettres à l’Étrangère, 1.489).
  2. Cahiers Balzaciens, 1,19.