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je suis perché, écrit-il à Mme Carraud en août 1838, le jardinet et le bâtiment des communs, tout est situé au milieu de la vallée de Ville d’Avray, mais sur la commune de Sèvres, côte à côte avec l’embarcadère du chemin de fer de Versailles, sur le revers du parc de Saint-Cloud, à mi-côte, au midi ; la plus belle vue du monde, une pompe que doivent envelopper des clématites et autres plantes grimpantes, une jolie source, le futur monde de nos fleurs, le silence et quarante-cinq mille francs de dettes de plus ! Vous comprenez ? Oui, la folie est faite et complète [1]. » Hélas ! il ne faudra pas compter sur les minerais de Sardaigne pour payer tout cela, car Balzac a eu la langue trop longue, il a raconté ses projets à un innocent passager pendant la traversée de Sardaigne, et l’innocent passager, un Génois, s’est fait donner la concession par un biglietto reale expédié trois jours avant l’arrivée du trop bavard Honoré !

Au mois de septembre 1838, la Femme supérieure paraît en volumes de librairie accompagnée de la Maison Nucingen et de la Torpille. En tête de la Maison Nucingen [2], une affectueuse dédicace publie l’amitié de Balzac et sa reconnaissance envers la chère Mme Carraud. Carraud très émue remercie le romancier le 4 septembre :


Comment vous dirai-je, cher, tout ce que j’ai ressenti à la lecture de votre dédicace ? J’en ai été profondément émue. Ce témoignage public de votre affection m’a pénétrée, et sans vouloir discuter si je mérite une si haute louange, je l’accepte avec bonheur. Que ne puis-je en ce moment vous presser la main avec effusion ?

Les Jardies ! c’est donc là où vous êtes allé chercher le calme qui vous est si nécessaire ? Lui permettrez-vous de s’établir chez vous, à ce calme que vous trouverez trop monotone, je le crains ? C’est que vivre seul est une rude chose, surtout quand on a quelque plaie qui saigne, et vous n’êtes pas dans la position que vous ambitionnez. Ne vous faudra-t-il pas quelque cœur ami pour recevoir le trop plein de vos amertumes ? Comme vous me le disiez, Auguste revient ; vous l’avez su avant moi, car je n’ai eu sa lettre, datée du 14 avril, que le 1er septembre. Il revient par Canton et les grandes Indes. Il ne saurait tarder de quelques mois à être à Paris. C’est là un cœur qui vous est dévoué et dans lequel vous pourrez vous réfugier ; puis il aura quelque chose de neuf à vous dire.

  1. Correspondance, I, 425.
  2. H. de Balzac, Œuvres, éd. L. Conard, t. XIV, p. 343-344.