Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

acheté pour 110 000 lire un bout de terre qui ne m’en rapportait pas mille. Les paysans ne calculent point : ils se disent que le papier ne vaut rien, tandis que la terre vaudra toujours quelque chose. Pour nous, propriétaires, nous commençons à vendre. Car le jour où le papier-monnaie ne vaudrait plus rien, ce serait la révolution et nos terres cesseraient aussi bien de nous appartenir. »

Contraste saisissant entre le Nord et le Sud. En Romagne, la ligne triomphe parmi les paysans, et l’esprit de collectivité, et même parfois l’esprit bolchéviste : on fait la guerre à la propriété et à la production. Dans le Midi et en Sicile, le paysan est avant tout individualiste et conservateur : s’il veut la terre, c’est pour l’avoir bien à lui, à lui tout seul. Les locations collectives ne sont telles que par la forme du contrat : les associés s’empressent de diviser la terre occupée et de tirer les lots au sort ; chacun cultive le sien comme il l’entend, en maître absolu. Les essais d’exploitation en commun ont aussi régulièrement échoué dans le Sud, que dans le Nord ils ont été couronnés de succès. Malgré ces différences de tempérament et d’organisation, paysans du Nord et du Sud, qu’ils soient petits propriétaires, métayers, fermiers, ou simples ouvriers agricoles, m’ont paru constituer un élément social également bon, actif et susceptible de progrès.


LES OUVRIERS

Au même moment où les paysans envahissaient les terres, ou en détruisaient les produits, ou les rendaient volontairement improductives, les ouvriers, par des grèves continuelles et souvent injustifiées, immobilisaient les industries. D’un côté comme de l’autre, plus ou moins consciemment, on poursuivait le même dessein, qui pourrait se définir ainsi : l’échec à la production. Un secrétaire de syndicat agraire me faisait, au début de 1920, cette déclaration : « Nos efforts actuels tendent, non pas à frapper directement la classe des propriétaires, mais à l’atteindre indirectement, en donnant l’assaut à la production. Nous voulons que les propriétaires en soient réduits à exploiter à perte. — Mais, lui observai-je, pourquoi vous ingénier à diminuer la production, en un moment où, dans tous les pays d’Europe, on s’efforce au contraire à produire davantage ? Les