Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/629

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ivan est en Suisse avec M. Périolas. Il a passé deux mois à Besançon [1] ; il avait besoin de ce temps de repos avant de se mettre sérieusement au travail, et il ne pouvait mieux l’employer qu’à voyager. Je ne l’aurai qu’un mois à peine auprès de moi, mais il est content et je fais taire mes regrets. Yorick grandit d’une manière remarquable ; mais il ne remplacera jamais son frère ; il n’y a pas entre nous les rapports intuitifs qui ont toujours existé entre Ivan et moi. Souvent je ne connais pas le mobile des actions de Yorick, et j’ai toujours eu la pensée d’Ivan, telle enfantine qu’elle fût avant d’arriver à sa conscience.

Adieu, cher Honoré, vous ne serez pas noyé dans le golfe du Lion, et s’il vous faut travailler outre mesure pour rétablir vos affaires, je serai assez près de vous, je l’espère, pour aller de temps à autre vous presser les mains et vous donner du courage. Si écrire vous gêne, envoyez-moi une adresse mise par vous, simplement ; car, quelque prix que je mette à vos lettres, je serais désolée d’être une distraction pour votre travail. Je vous aime assez pour me retrouver au même point avec vous, fussiez-vous des années sans me donner signe de souvenir. J’ai tant de fois blâmé votre immense correspondance, et j’ai si bien observé combien elle détournait de forces, en vous enlevant à l’idée que vous exploitiez et analysiez, que je ne voudrais en rien grossir la masse de ces exigences ridicules. Traitez-moi donc comme quelqu’un dont on est si parfaitement sûr que l’on peut se dispenser même d’y penser.

Adieu ; si j’avais cru que vous fussiez de retour, je vous aurais écrit dès longtemps.

A vous, cher, de cœur.


Ce n’est pas 13, rue des Batailles, à Chaillot, mais aux Jardies, par Sèvres (Seine-et-Oise), que la lettre de Mme Carraud atteint Balzac. Las de Paris, tracassé par les éditeurs, les créanciers, la garde nationale, il a pris le parti de se retirer en banlieue : il a acheté un terrain où il a fait construire à sa guise l’étrange chalet qu’il a décrit dans les Mémoires de deux jeunes mariées [2], et qui fournit à Léon Gozlan matière à plus d’une anecdote [3]. « Le bâton de perroquet sur lequel

  1. Où Périolas tint garnison de 1837 à 1839.
  2. Q. de Balzac, (Œuvres.., éd. L. Conard, t. I, p. 343, et Cahiers balzaciens, I, p. 16 et suiv.
  3. L. Gozlan, Balzac en pantoufles, ch. II, IV, XIII et XIV.