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jusqu’à 3 000 hectares. Les propriétaires, presque toujours absents, font exploiter leur domaine par un administrateur. Exploitation qui enrichit l’administrateur, procure au propriétaire un maigre revenu et condamne le paysan à mourir de faim. On ensemence en céréales, une année sur deux, d’immenses étendues de terrain ; on fait un large emploi des machines, un usage parcimonieux des engrais, et on récolte ce qu’on peut. Pas de fermier : toute la main d’œuvre est fournie par des braccianti qui, comme en Sicile, habitent dans les villes et gaspillent en longues marches la moitié de leur temps et de leurs forces. Pas de villages, pas d’agglomérations rurales, parce que le pays manque d’eau. La terre est naturellement si fertile qu’une exploitation très sommaire suffit à la faire produire. Mais qu’est cette production au regard de ce qu’elle pourrait être ? Aussi voit-on, non seulement les paysans abandonner l’agriculture, soit pour aller travailler aux usines, soit pour émigrer en Amérique, mais les propriétaires eux-mêmes renoncer à une entreprise trop ingrate et laisser en friche une grande partie de leurs domaines.

Propriétaires et paysans s’accordent à reconnaître que le problème des Pouilles serait plus qu’à moitié résolu le jour où l’eau ne manquerait plus, et les paysans raisonnables avouent que l’adduction de l’eau est une œuvre trop coûteuse pour que les propriétaires puissent l’entreprendre par leurs seuls moyens. Ici l’intervention de l’État est absolument nécessaire. Il y a longtemps que le Parlement italien a approuvé les plans du fameux acquedotto pugliese. Les travaux commencés furent interrompus par la guerre et viennent à peine d’être repris. Au prix où sont actuellement les matières premières et la main d’œuvre, il est douteux que l’on songe à les pousser très activement. Et les « Pouilles altérées » (le Puglie sitibonde) continuent de faire entendre leur plainte, tantôt résignée, tantôt, comme en ces derniers temps, pleine d’amertume et de colère.

Dans la province de Foggia, j’avais trouvé quelques ligues socialistes de paysans, une seule coopérative catholique. Dans celle de Naples, il n’y avait encore en 1920 aucune organisation paysanne : la résistance de l’individualisme était entière. Les habitants des campagnes, enrichis par la guerre, achetaient avec fureur. « Un de mes fermiers, me dit le marquis R..., grand propriétaire dans le Napolitain et en Campanie, m’a