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ses enseignements et de sa civilisation. Il n’est pas un seul parmi nous autour de cette table qui ne soit un enfant de l’esprit français, formé à son image par ses livres, qui nous ont initiés aux secrets de la science, de l’histoire et de la poésie depuis les premiers temps de notre jeunesse. Pour tous ceux qui vous entourent, votre belle langue est familière, et ils ont tous connu les enchantements de la vie intellectuelle dans ce paradis terrestre qu’on nomme la Ville Lumière. »

L’orateur voit la France donner l’exemple de la modération et de la sagesse dans un monde profondément troublé et menacé des plus graves convulsions ; il ne doute pas de ses résolutions pacifiques et la félicite d’avoir envoyé comme messager aux démocraties américaines un soldat de la Grande Guerre, un rameau d’olivier à la main.

Nous quittons le Jockey Club après minuit pour nous rendre au bal donné en notre honneur par Mme Carlos Madariaga, dans un salon où s’étaient constamment avivées pendant toute la guerre d’ardentes sympathies pour la cause française.

Le lendemain 26, nous visitons les œuvres françaises, les mutualistes, l’Alliance Française, le comité France-Amérique et les sociétés d’anciens combattants. Au collège Lacordaire, le père Sisson me présente le tableau d’honneur où s’inscrivent les noms des élèves morts pour la Patrie, et j’y voudrais bien suspendre la croix de guerre. Après le déjeuner offert par la Ligue maritime française, présidée par M. Nicole, je me rends officiellement à l’audience du président de la République. Nous partons de la Légation de France, en grande tenue, landaus découverts, escortés par un demi-escadron des célèbres grenadiers à cheval. C’est l’occasion d’une manifestation imposante. Sur tout le parcours, les maisons sont pavoisées aux couleurs françaises et argentines, mêlées à quelques drapeaux des Alliés ; des fleurs pleuvent de tous les balcons ; une foule compacte se presse dans les rues et sur les places, acclamant la France et ses envoyés. Devant le palais du gouvernement, un régiment d’infanterie est en bataille ; sa musique joue la Marseillaise et je salue son drapeau.

C’est sur cette place que, le 23 mai 1810, devant la municipalité, la population réunie en conseil ouvert à ses magistrats municipaux (cabildo aperto) proclama la déchéance du vice-roi espagnol et acclama un gouvernement autonome : c’était la