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auquel il avait assisté depuis son départ de Lausanne le matin, que par un autre mystérieux prestige de la montagne, le plus grand à ses yeux, le principal : le silence. Toute cette neige assourdissait les bruits, servait d’isolateur, supprimait le reste du monde. Il avait goûté la course en traîneau, scandée seulement par les grelots de l’attelage dont il n’entendait pas les sabots se poser.

« Pourvu, avait-il pensé à l’arrêt, que l’hôtel ne soit pas rempli, qu’il n’y ait ni musique ni danse, et que je n’y connaisse personne ! »

Aussitôt sa chambre retenue, — exposée au midi, à un étage élevé en prévision de toute offensive d’orchestre, avait-il réclamé, et il avait remarqué avec inquiétude l’hésitation du directeur à lui donner satisfaction, — il entra dans le hall qu’il avait aperçu dès l’entrée et il ne put réprimer un sourire de gratitude adressé à la Providence qui sans doute veillait sur lui. Car ce hall spacieux, immense, meublé de sièges savamment groupés autour de petites tables et formant ainsi d’innombrables salons à peine séparés les uns des autres, donnant par toute une façade vitrée sur la campagne dont on distinguait mal les formes indécises, indéfinies pentes de neige et masses noires des sapins rassemblés, — ce hall, tout ce hall était désert, et la solitude l’élargissait encore. À demi caché par une colonne, un couple affamé achevait de se bourrer de toasts sans dire un mot. Le nouveau venu lui jeta un regard venimeux, sans insister toutefois, car il pouvait tolérer cette présence insignifiante et d’ailleurs taciturne :

« Parfait ! parfait ! se dit-il, je serai ici à merveille. Le change a sans doute mis tout le monde en fuite. L’hôtel ne doit être habité que par quelques Anglais amateurs de bobsleigh, et quelques Norvégiens passionnés de ski. Ces sportifs fatigués doivent se coucher de bonne heure. Je sors de la tour de Babel, je vais retrouver, dans ce coin perdu, la paix que nous n’avons pu conclure avec l’Orient. »

Il prit l’ascenseur qui le hissa à son cinquième étage, gagna sa chambre, ouvrit la porte-fenêtre pour se rendre compte de la vue nocturne et dérangea des corneilles pacifiquement installées sur son balcon. Un passage d’un auteur espagnol, Ramón Gómez de la Serna, récemment découvert par le romancier Valéry Larbaud, lui revint à la mémoire : « Le ciel des nuits d’hiver où il gèle, avec une lune taillée en forme de glaçon, est