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Dans d’immenses paddocks que des rideaux d’arbres protègent contre le vent, les poulains et les juments s’ébattent joyeusement. Dans les explications de notre cicerone, dans les questions qu’il pose en anglais et en espagnol à tout le personnel que nous rencontrons, on sent le chef d’industrie en même temps que le propriétaire foncier. L’entreprise qu’il dirige personnellement exige de grands capitaux, maniés hardiment d’une main expérimentée. Elle constitue l’une des principales ressources de son pays, et son élevage scientifique et méthodique contribue à l’enrichissement général.

Le château est une habitation moderne très confortable, et les créneaux qui le couronnent n’excluent pas les larges baies et les portes hospitalières. De vieux meubles, des tableaux bien choisis ornent l’intérieur. Le jardin contient une très belle roseraie. Cour de tennis, terrain de polo, links de golf, beau parc bien dessiné l’entourent. En quelques tours de roue une auto mène à un pavillon au bord de la mer.

Au retour, je vais au club italien, où je suis invité à une réception en l’honneur de la fête nationale, qui commémore l’unité enfin reconquise le 20 septembre 1870. C’est pour moi l’occasion de rappeler que les deux divisions italiennes du général Albricci, franchissant l’Aisne, ont repris d’un bel élan le Chemin-des-Dames sous mes ordres il y a tout juste trois ans, et de leur payer mon tribut de reconnaissance. Ce glorieux souvenir, si proche dans le temps, si lointain dans l’espace, évoque la fraternité latine cimentée sur le champ de bataille, et il émeut cette assistance où, en un tel jour, tous les cœurs se tournaient vers la Mère Patrie. Au sortir du cercle, une foule d’Italiens m’accompagnent, mêlés aux Français et aux autorités argentines.

Nous regagnons le bord en pleine nuit, par une mer assez agitée. Le Jules Michelet, qui avait mouillé assez près de terre et à l’abri du môle en construction, a dû s’éloigner quelque peu. L’amiral ne croyait pas que le croiseur pût remonter le Rio de la Plata, et nous pensions gagner Buenos-Ayres en chemin de fer. Mais notre ministre voudrait bien montrer, dans la capitale où il représente la France, notre pavillon si bien porté et il insiste pour que nous restions à bord du Michelet. D’autre part, des experts en navigation nous affirment que les bâtiments calant 8 mètres comme le nôtre peuvent naviguer