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petites caravelles qu’il commandait revint en Espagne ; mais celle-là avait pour la première fois exécuté le tour du monde. Puisque Magellan avait doublé l’extrémité Sud du continent américain et atteint la mer libre, il avait résolu le problème : en cet instant mémorable, la forme de la terre, ses dimensions, ses continents et ses océans apparaissaient à l’homme pour la première fois.

Le détroit est plus large que les canaux latéraux ; les deux rives sont pareillement découpées, avec des montagnes assez élevées. Les îles de la côte ont des formes abruptes, jusqu’au milieu de la distance entre les deux Océans, que marque le cap Forward ; à partir de ce point, la côte devient sablonneuse et les hauteurs s’en éloignent.

Nous arrivons devant Punta Arenas vers dix heures du soir ; le temps est clair, les lumières de la ville et les feux des navires en rade illuminent une belle nuit.

Le 15 septembre au matin, après l’échange des visites officielles, nous parcourons la ville, qui est la plus australe du monde. Elle doit la rigueur de son climat à sa situation en flèche au milieu des mers tempétueuses de cet hémisphère ; un vent perpétuel, qui est généralement d’une grande violence, règne ici, avec des tempêtes accompagnées de fortes pluies, ou de bourrasques de neige. Aujourd’hui le soleil brille, le vent est très tolérable, et nous sommes dans une période exceptionnelle : « Nous n’avons que huit jours de beau temps par an, nous dit un habitant du pays, et vous en avez déjà pris cinq... » Le pire est que nous ne pouvons jamais les rendre.

Le pays vit de l’élevage, surtout celui du mouton, introduit il y a un demi-siècle et qui n’a fait que croître. Les installations frigorifiques sont bien comprises ; une flottille de vingt-cinq vapeurs, dont quinze au service d’une entreprise française, fait la navette entre ce port perdu et la côte américaine. Les courriers sont très irréguliers, car aucune ligne de navigation ne dessert ces parages. Pas de routes, pas de chemin de fer, pas encore de télégraphe ! L’invention de la T. S. F. rend ici les plus précieux services. Les 30 000 habitants vivent beaucoup sur eux-mêmes, et se sentent littéralement au bout du monde. La colonie française, très sympathique, est tout heureuse de voir un beau navire avec le pavillon tricolore. Je la reçois à bord.