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capitaine de corvette qui connaît admirablement la navigation de ces parages. La route est fort bien balisée, par des repères très visibles de jour, mais elle n’est éclairée d’aucun feu, parce que les détours obligeraient à l’entretien de phares très nombreux, dont la dépense serait disproportionnée à leur utilité, les bâtiments qui fréquentent ces parages étant très rares. Les vents sont en effet très violents et soufflent souvent en rafale dans les corridors que forment les hautes falaises ; dans le dédale des îles, les courants sont aussi d’une violence inégale qui dépend de l’heure de la marée. Enfin, le chenal navigable est très étroit et, pour pouvoir gouverner contre vent et marée, il faut garder une certaine vitesse, manœuvrer vite et juste. La plupart des marins préfèrent donc passer au large.

Nous mouillerons trois nuits de suite, et nous ne perdrons pas un instant du spectacle magnifique que déroule devant nous cette véritable navigation de plaisance, qui est pour nos officiers un utile exercice, devenu très rare dans leur carrière. Ils vont en outre préciser les renseignements un peu trop généraux que notre marine possédait sur ces parages.

La forme des montagnes et le dessin de la côte varient sans cesse, mais restent toujours sévères. Nous sommes au commencement de septembre, donc à la fin de l’hiver dans l’hémisphère austral, où les saisons sont inversées ; la neige couvre les sommets de la chaîne côtière et se rapproche de la mer à mesure que nous progressons vers le Sud ; le premier jour, elle restait à 400 ou 500 mètres d’altitude ; le troisième, elle descend à 50 ou 60 mètres ; les arbres, touffus d’abord, deviennent de plus en plus rares ; il n’y a plus que des buissons, puis seulement de gros lichens vert sombre qui couvrent les rochers ; dans les fentes, ils font comme d’énormes éponges pleines d’eau. Des myriades d’oiseaux suivent notre sillage, surtout une sorte de mouette que les Anglais appellent le pigeon du Cap à cause de sa forme, et nos marins le damier, à cause des plumes de ses ailes alternativement noir et blanc. Ils poussent des coassements affreux, et se précipitent en masse sur le moindre brin de nourriture qui est sans conteste au premier arrivé : ils se disputent sans se battre. Ils suivent le Jules Michelet en faisant de grands cercles, sans effort, et je calcule qu’ils marchent trois et quatre fois plus vite que nous, 60 ou 80 kilomètres à l’heure. On les capture facilement, en laissant traîner à l’arrière une longue