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dirigée par M. Blaine. Faute d’une mission militaire française, l’armée chilienne avait été modernisée par des officiers allemands ; les officiers chiliens avaient été très bien reçus pendant leur stage dans l’armée allemande et des professeurs allant continuer leurs études en Allemagne y avaient trouvé de grandes facilités que le commerce et les banques rencontraient également dans leur activité spéciale. Des colonies allemandes s’étaient établies dans le Sud du Chili et y apportaient leur travail assidu et quelques capitaux. Enfin, la propagande allemande avait été admirablement organisée dès le temps de paix et elle garda beaucoup d’influence jusqu’à ce que la nôtre, plus lente, eût fait sentir ses premiers effets.

Mais il est inexact de dire que le Chili ait été absolument inféodé à l’Allemagne et qu’il reste encore sous cette emprise.

L’élite intellectuelle, écrivains, hommes politiques de valeur, artistes, y a toujours échappé avec tous les éléments d’une certaine culture. Aux jours les plus sombres, nombreux ont été les amis qui n’ont jamais désespéré de la France : la latinité n’est pas un vain mot. Mais la masse restait divisée et les intérêts matériels étaient en faveur de nos ennemis.

Si le Chili est resté neutre pendant la guerre, il s’est réjoui très sincèrement et sans arrière-pensée de notre victoire et il a pris mon passage comme une heureuse occasion de le témoigner. Il serait donc très mesquin de garder rancune à ce peuple fier, justement susceptible, plein d’avenir.

Nous voici dans les eaux de Coronel où, le 1er novembre 1914, cinq petits croiseurs anglais rencontrèrent un nombre égal de bâtiments allemands d’un armement très supérieur. Les marins du Jules Michelet ont pris les armes pour rendre hommage à l’héroïsme qu’ont déployé ici leurs camarades britanniques ; sur terre, le village, la colline, le ruisseau restent comme des témoins du combat ; souvent les croix funèbres se dressent, clairsemées ou denses selon l’acharnement de la lutte. — Rien de tel sur l’Océan. Le ciel et les nuages, identiques partout... Un officier lit un récit très simple de cet événement, et les deux escadres sont devant nous, évoquées soudain. L’amiral britannique attaque malgré la disproportion des forces, parce qu’il faut accrocher l’ennemi et l’empêcher de continuer ses déprédations. Il a raison.il a derrière lui toute la flotte anglaise, qui peut donner trois, dix bâtiments pour la destruction d’un allemand,