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bois mort, un sac contenant des fruits ou des légumes. Ainsi on les voit remonter chaque soir vers la ville, lents, courbés et chantant leur éternelle chanson. Je suis entré, à Girgenti, dans quelques-uns des taudis qui les abritent, pêle-mêle avec leurs ânes, leurs chèvres et leurs poules ; et j’ai bien failli reculer de dégoût.

On vote des lois spéciales, on affecte des crédits exceptionnels, et rien ne change. Au printemps de 1920, comme j’allais par le chemin de fer de Palerme à Trapani, mon compagnon de voyage, un négociant que ses affaires appelaient à Marsala, me demanda : « Y a-t-il longtemps que vous n’êtes venu en Sicile ? — Douze ans, répondis-je. — Douze ans ? eh bien ! malheureusement vous ne trouverez rien de nouveau chez nous. Quelques promesses de plus, quelques illusions de moins, voilà notre bilan. Nous continuons à manquer de tout : d’eau, de routes, de voies ferrées, de police et d’hygiène. Nous n’avons pas fait un pas vers la civilisation. Et dire qu’il y a des gens à Rome pour revendiquer la possession ou la protection de nouveaux territoires, le droit d’administrer des régions moins italiennes peut-être et certainement moins riches que la nôtre, où tout est à faire et où l’on ne fait rien ! Ah ! si le Gouvernement italien avait accompli en Sicile le dixième de l’œuvre qu’a réalisée en Tunisie le gouvernement français !… »

Je détournai la conversation d’un argument aussi délicat, en posant à mon interlocuteur quelques questions de tout repos sur le port de Palerme et sur le commerce des vins. Mais, plus d’une fois, en parcourant l’ile merveilleuse et pitoyable, je me rappelai ses propos. À Alcamo, ville de 40 000 habitants, centre de production vinicole, il n’y a pas encore d’eau potable ; il n’y en a pas davantage à Caltanissetta, centre de l’industrie du soufre. À cinq cents mètres de Castrogiovanni, autre ville importante, j’ai vu une vieille femme recueillir dans sa carafe l’eau de pluie restée au creux d’un rocher. Des routes comme on n’en rencontre plus qu’en Turquie d’Asie : mauvaises, mal entretenues, interrompues par des fleuves torrentueux, sur lesquels il y a eu des ponts, que les eaux ont emportés et qu’on n’a point rétablis. Des montagnes qui furent boisées, et qui aujourd’hui sont nues comme des rochers. Presque partout, un service postal irrégulier, un service ferroviaire détestable et manifestement insuffisant. Les industries dérivées de l’agriculture, également