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politique, tendaient moins à améliorer la condition individuelle des ouvriers agricoles, qu’à se fortifier et à s’enrichir elles-mêmes collectivement. L’Etat leur facilita singulièrement la tâche, soit en leur louant à bon compte les terrains domaniaux, soit en leur réservant les travaux d’utilité publique. Lors de mon dernier voyage en Romagne, j’ai été frappé du contraste qui existait presque partout entre le siège de l’Agraria, ou association des propriétaires, et celui de la Camera del Lavoro ; la première est abritée tant bien que mal dans un local de fortune, la seconde est confortablement installée dans une maison de bonne apparence, parfois même, comme à Ravenne, dans un palais. Les Chambres du Travail et les Coopératives octroient à certains de leurs employés des traitements qui varient entre 12 et 18 000 lire par an. Cette caste d’ouvriers-bourgeois, qui ne possède ni les qualités de la classe ouvrière ni les traditions de la bourgeoisie, m’a paru être la plus parasitaire et la plus nuisible qu’une société moderne puisse produire : un faux-semblant d’instruction, une extrême suffisance, une absence totale de moralité, voilà quelques-unes de ses caractéristiques.

Malgré tous ses défauts, l’organisation socialiste des ouvriers agricoles a produit de bons résultats : de grandes étendues de terres incultes ont été aménagées et exploitées régulièrement par les coopératives de braccianti ; d’importants travaux d’assèchement et d’endiguement ont été menés à bonne fin. On peut même soutenir que le travail en commun a développé chez le paysan du Nord et de l’Est certaines qualités que le travail isolé des fermes eût laissées improductives. L’intervention de l’Etat a fait tout le mal, en altérant les conditions normales de la concurrence. Soutenues, favorisées, subventionnées par le Gouvernement, les organisations de braccianti ont réduit l’entreprise privée à l’impuissance, arrêté net l’essor de certaines industries en les privant de main-d’œuvre, subordonné enfin les besoins de l’économie nationale aux intérêts, ou même aux passions d’une classe privilégiée. Maîtresses souveraines des administrations provinciales et communales, les ligues rouges pratiquèrent une tyrannie insupportable ; elles en vinrent à percevoir des impôts, à délivrer, contre espèces sonnantes, des passeports sans lesquels les citoyens non inscrits à l’organisation ne pouvaient ni sortir de la commune, ni y entrer. Quelques années se passent, et les fascistes arrivent, qui mettent le feu