Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette campagne porta ses fruits. Lorsqu’ils se sentirent menacés, les mezzadri qui n’avaient pas auparavant senti la besoin de s’unir, formèrent eux-mêmes des ligues at opposèrent aux Chambres de travail socialistes des Chambres républicaines. Ils commencèrent par se défendre contre les entreprises des braccianti bientôt ils en vinrent à formuler leurs propres revendications contre les droits des propriétaires. C’était exactement le résultat prévu et souhaité par les agitateurs de profession. L’un d’eux m’exposa un jour à peu près en ces termes la tactique qu’il employait : « Notre but, c’est l’abolition de la propriété privée. Faute de pouvoir atteindre directement la propriété, nous nous attaquons au métayer. Et cela pour deux raisons. D’abord les mezzadri sont tous des propriétaires en herbe. Puis nous estimons que le travail ne doit pas être rémunéré en produits : car dès lors l’amélioration du sort des travailleurs a pour condition une augmentation des prix, dont souffre le consommateur, c’est-à-dire la collectivité. Nous commencerons par substituer au métayage la location collective, et nous arriverons progressivement à la socialisation du sol. »

De 1908 à 1914, la lutte se poursuit en Romagne entre les trois éléments diversement groupés. Tantôt les mezzadri s’unissaient aux braccianti pour faire échec aux propriétaires, tantôt ils demandaient aux propriétaires leur appui pour mieux résister aux exigences croissantes des braccianti. En fin de compte, le bon sens et l’intérêt eurent raison de la démagogie. Les mezzadri profitèrent de leur forte organisation pour obtenir des conditions plus avantageuses et une plus grande initiative dans la conduite de l’exploitation ; mais ils restèrent, par tradition et par sentiment, des « propriétaires en herbe, » quand ils ne devinrent pas des propriétaires en fait. Enrichis par la guerre, beaucoup partagent aujourd’hui leur activité entre la parcelle qu’ils ont acquise et la métairie qu’ils n’ont pas abandonnée. D’autres se sont classés définitivement dans la catégorie des propriétaires fonciers.

Ainsi le métayage a préparé la formation d’une petite bourgeoisie agraire, dont le rôle social peut devenir très important. Dans les provinces dont il est question, cette classe d’anciens métayers devenus propriétaires n’abandonne point le métier qui l’a enrichie ; elle n’émigre pas vers les grandes villes. On voit au contraire des avocats, des fonctionnaires, de petits commerçants