Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/506

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femmes, les filles et les hommes mariés. Les jeunes gens célibataires en sont exclus. Et si quelque profane a cherché à en surprendre le secret, il est mis en pièces…

Notre Caïmakan raconte. Et chacun d’accueillir avec enchantement des détails cultuels dont l’extravagance ne me cache pas le sérieux trop humain. Les curieux mystères ! Quand même ce ne seraient là que des rumeurs mensongères, quelle trace de l’obsession que les antiques bacchanales ont laissée dans l’imagination de ces vallées immobiles !

Le fils de notre hôte, un gamin de huit à dix ans, ne perd pas un mot de nos propos. Pour distraire son attention, quelqu’un lui demande :

— Tu sais, petit, ce que c’est que l’Académie française ? Tu en as entendu parler ?

— Oui (avec un grand signe de tête).

— Dis ce que c’est.

— C’est des messieurs qui se réunissent dans une chambre pour se faire des compliments.

Et tous de rire. Cet enfant et surtout ce jeune fonctionnaire turc ont trop d’esprit. Je ne suis pas venu de Paris pour voir des hommes spirituels. Je vais me coucher.

Tard dans la nuit, je veille. Mon imagination est toute étonnée des histoires bizarres que l’on vient de me raconter et dont j’épargne le récit à mes lecteurs. Quoi ! les vieilles religions discréditées, dont il traîne, dit-on, des lambeaux ridicules au fond de nos cloaques (chez un abbé Boulan, à Lyon, chez un Vintras, à Tilly-sur-Seulles, et qui peut l’assurer ?), seraient encore vivantes dans ces retraites montagneuses ? Insécurité troublante de ces solitudes syriennes ! C’est ici que les Templiers, s’il faut accueillir les réquisitoires de leurs ennemis, se sont empoisonnés avec les ferments qui subsistaient des sanctuaires antiques. Ces hardis chevaliers rêvaient dans leurs châteaux tragiques, par les après-midi pesants. Combien de temps faut-il à cette Asie stagnante pour dénaturer le plus actif et le plus sain de nos Normands, de nos Flamands ? Il doit y avoir des reptiles dans ces pierrailles, et de vilaines fièvres, des pestes dormantes. Pourtant il ne se peut pas que l’on ne trouve aux origines de cet Ismaélisme qu’un homme de mensonge et des vapeurs corruptrices. Je vois ce royaume des Hashâshins dans sa décomposition, quand la tête est morte, quand aucune